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La création des souvenirs

D'une vue stéréoscopique, je vous emmène en voyage autour de ma chambre photographique pour enquêter sur les différents régimes d'image en ligne d'une destination touristique : le lac de Montriond, en Haute-Savoie.


 

Mardi 20 février 2024. Lucinda Perrillat-Boiteux, responsable du pôle Patrimoine alpin chez PAYSALP, me tend ce stéréoscope. Elle donne une conférence dans le cadre de l'exposition « La Haute-Savoie pittoresque : Auguste et Ernest Pitier, éditeurs de cartes postales », présentée au Musée d'art Sacré de Saint-Nicolas de Véroce. Le titre de cette conférence : « De la photographie à la carte postale : la création des souvenirs. » 

 

 

A travers les lunettes, je découvre une image qui ressemble à celle-ci, avec un premier plan de végétation sauvage. L'immersion apportée par la technique de stéréoscopie rend l'ensemble très mystérieux. 

A l'heure où la génération d'images par l'intelligence artificielle a franchi un nouveau palier avec la présentation de Sora, un outil d’IA générative qui produit des vidéos d'une durée maximum d'une minute (pour l'instant), je me suis demandée comment le lac de Montriond était représenté aujourd'hui dans notre imaginaire visuel collectif. 

 


 

La réalité virtuelle n'a pas encore posé son transat au bord du lac : en tapant les mots clés dans un moteur de recherche, j'atterris au choix vers un article généraliste qui parle de réalité virtuelle pour promouvoir le tourisme ou bien vers la vue à 360° des webcams de la station de Montriond, depuis lesquelles je n'aperçois pas le lac, uniquement une onde de skieurs. 

 


Une autre vue à 360° apparaît dans les recherches web : celle de Konstantin Kretov, photographe amateur qui publie ses productions sur la plateforme de banques d'images Alamy et qui, curieusement, a choisi un emplacement tout proche du parking pour sa prise de vue.

 


Konstantin n'a pas jugé nécessaire de cacher à la prise de vue ni de retirer en post-production l'ombre de sa silhouette qu'il projette à côté de celle du trépied, et peut-être est-ce sa manière à lui de faire acte de présence au bord du lac, comme les centaines de selfies que l'on trouve sur Instagram derrière la localisation ou le mot-dièse #lacdemontriond. 

 


Que l'on soit en couple, avec son enfant ou avec son chien, en été comme en hiver, l'impression générale qui se dégage de cette destination est celle d'un havre de paix accueillant et authentique, une bulle de cocooning pour passer une heure de balade ou un week-end de rêve. 

Cela tombe à pic : c'est tout à fait l'image que souhaite en diffuser le marketing territorial. Troisième plan d'eau du département, le lac de Montriond est présenté dans la presse locale comme une merveille de la Haute-Savoie, où l'on vient surtout pour « une balade idéale en famille dans un cadre splendide. » 

 

Le DL/Chantal BOURREAU

Konstantin Kretov nous a déjà indiqué comment accéder au bord du lac en voiture. D'autres internautes nous proposent de partir d'un peu plus loin pour profiter de la belle cascade d'Ardent - tiens ! déjà valorisée dans les collections de cartes postales anciennes, bien qu'orthographiée différemment.

 

 

Pour une promesse de balade de 2 heures, suivons le tracé du circuit en boucle, d'une difficulté facile et d'une longueur abordable (7 à 8 km). Si nous avons le moindre doute sur la direction à prendre lors d'une intersection, rassurons-nous : tout est documenté. D'autres panneaux, d'interprétation cette fois-ci, nous attendrons au bord du lac pour nous en raconter l'histoire, puisqu'il est aussi l'un des 20 sites emblématiques du Géoparc mondial UNESCO du Chablais.


Après en avoir fait le tour et admiré son paysage, que faire au lac de Montriond ? Ce que vous voulez, pardi ! Ou plutôt... ce qu'on aimerait que vous fassiez ? D'après Daniel Süsskind dans son ouvrage Un monde sans travail (ed. Flammarion) : 

Il suffit de se pencher sur n'importe quel domaine de loisirs pour découvrir, sinon un ministère officiel, du moins un réseau de fondations et d'associations soutenues par l’État qui veillent sur nous pour que nous adoptions certaines activités et en abandonnions d'autres.

Au lac de Montriond, un coin baignade a été aménagé, mais on peut tout autant partir en canoë kayak sur l'eau, comme se consacrer à une activité encouragée par la Région Auvergne Rhône-Alpes : la pêche. 

à la belle saison, on y pêche l’omble chevalier, la truite fario ou arc-en-ciel

Jusqu'en 1860, le plus haut sommet en France était la Pointe des Arsines, dans les Écrins, située à 4102 mètres d'altitude. Les Hautes Alpes portent fièrement leur attribut jusqu'au rattachement de la Savoie à la France, qui catapulte alors le mont Blanc et ses 4800 mètres d'altitude sur la plus haute marche du podium. Napoléon III commande dans les années 1860 un reportage photographique, qui sera assuré par les frères Bisson, pour documenter l'ascension du mont Blanc et faire connaître le territoire - et la puissance de l'empire. 

 


Aujourd'hui, qui est à l'initiative de la fabrication des images, de l'orientation de nos loisirs et de la création de nos souvenirs ? Un indice : ce n'est déjà pas l'intelligence artificielle de Sora.

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