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En voyage dans les métavers : plaidoyer pour la diversité

Retranscription illustrée d'une conférence présentée le 25 mai 2022 à Québec dans la catégorie « Innovation » du WAQ (Web à Québec).

Merci au comité de programmation pour l'invitation !
(voir la captation de la conférence)


📸 André-Olivier Lyra

Bonjour à tous ! Je suis Célia Bonnet-Ligeon, co-fondatrice de l’agence Pizza, et c’est un plaisir d’intervenir aujourd’hui au WAQ 2022. Nous partons pour un voyage ensemble, d'une quarantaine de minutes, et je vous remercie d'être aussi nombreux pour cette expédition.

Associer voyage & métavers pourrait surprendre au premier abord ; pourtant quand on voit que l'agence de voyage déserte est déjà entrée au musée, en l'occurrence au MAC (Musée d'Art Contemporain) de Lyon en 2020 avec l'artiste Guillaume Bijl, on comprend que le secteur touristique est en train d’évoluer vers de nombreuses formes, y compris dans le métavers.

Avant de s'aventurer plus loin, mettons-nous d'accord sur la définition du métavers, pour voir où l'on va. En lisant sa définition sur Wikipédia, en voici les quatre caractéristiques principales :

  • c'est un univers virtuel,
  • persistant, c’est-à-dire qui existe et évolue dans tout temps, même lorsque nous n'y sommes pas connectés, 
  • c'est aussi un espace social, qui nous permet d’interagir avec d’autres utilisateurs, 
  • enfin, on présente le métavers comme une version future d'Internet, car ses modalités d’accès sont différentes de celles du web d’aujourd’hui : on le rejoint via des interactions en 3D ou des modules de réalité augmentée.

Ce qu’on oublie souvent de dire, c’est à quel point le métavers exige un apprentissage de notre part.

Quand Mark Zuckerberg, le patron de Facebook qui est devenu Meta, nous présente sa vision du métavers, tout a l'air très simple : les interactions sont fluides, les utilisateurs se déplacent en volant, voire se traversent les uns les autres. En réalité, le métavers que je connais et parcours depuis plus d'un an, ressemble plutôt à ça : 

 

 

Les univers virtuels sont truffés de panneaux d’indication pour nous apprendre à réaliser les gestes les plus simples, comme voler - qui est un geste simple dans le métavers -, et qui se relève n’être ni évident ni intuitif. Comme l’immersion en réalité virtuelle embarque l’intégralité du corps, même si vous vous déplacez en volant avec le joystick de vos manettes, malheureusement vous n’aurez pas vraiment l’impression de voler.

En revanche, vous pouvez vous retrouver dans un tas de situations cocasses, surtout lorsqu’il s’agit de vos premiers pas dans un métavers. Les interactions avec le décor sont omniprésentes : vous allez régulièrement traverser le sol ou d’autres surfaces verticales ou horizontales. C'est ce qui m'a plu lors de ma découverte des métavers : cette impression de liberté et de chaos en même temps, qui m'évoque les débuts du web avec les forums. 

 


 

En effet, un autre aspect du métavers est sa qualité sociale. On y retrouve ses amis, sa famille, ses collègues, avec l'avantage d'un avatar à la peau toujours lisse et à la coupe de cheveux impeccable. On peut également y nouer de nouvelles relations, puisque dans les métavers, n’importe qui peut venir nous parler à condition de se trouver dans le même espace. N'ayant aucune idée de qui pourrait se trouver derrière un avatar, surtout s'il est choisi parmi les modèles par défaut, la rencontre sera plus ou moins agréable : pas de panique, si la discussion prend une tournure inattendue, on s'échappe d'un clic vers un autre lieu virtuel.

Le dernier type d’interactions qui peut nous dérouter dans les métavers est celui avec les objets. J’aimerais ici saisir une bûche pour la mettre dans mon feu, mais je dois d’abord attendre que les objets se chargent. 

 

 

Parfois, il arrive que les objets attendus ne se chargent jamais... Qui dit futur d’Internet, dit connexion Internet, ce qui n’est pas toujours acquis et peut parfois interrompre une session en pleine discussion, voire nous amener à ce joli rapport de plantage. 

 

 

Si j’énonce avec vous les difficultés à faire ses premiers pas dans le métavers, c’est que j’ai l’habitude d’accompagner des équipes dans leurs projets numériques innovants avec sirdar électrique, que j'ai créé il y a dix ans. J'interviens principalement dans les domaines de la culture, de l'art et de l'éducation, avec des formats très différents : des dispositifs tactiles comme Educatouch jusqu'aux des méthodes de collaboration en ligne, de la réalité augmentée comme le Vitrailloscope jusqu'au robot conversationnel de Premier Trek, en passant par la réalité virtuelle. 

 

📸 collectif item pour les Subsistances

 

Me voici sous la forme de mon avatar, dans un monde virtuel que j’ai créé pour le CREA Mont-Blanc (Centre de Recherches sur les Ecosystèmes d’Altitude) : 4810 pixels

J’ai réalisé cet univers avec une petite équipe de deux artistes développeurs (seulement !). Nous avons inauguré 4810 pixels en décembre 2020, lors d’un événement public qui a réuni une centaine de participants à distance dans l'ascension d'un versant virtuel du massif du Mont-Blanc.

 

 

Avec ce projet, j'ai appris que nous pouvions réellement travailler ensemble dans le métavers. Sur la capture d'écran ci-dessous, nous sommes en pleine réunion de chantier pour définir la forme des panneaux indicateurs, à partir d’une photo prise dans la réalité. Le robot violet est Kévin Ardito, l’un des deux artistes développeurs, et le panda orange est Irene Alvarez, co-directrice du CREA Mont-Blanc. Pour l'anecdote, il était intéressant de remarquer que nous n'avions pas tous la même perception de la proxémie avec notre avatar : alors qu'Irene et moi traversons les autres sans précaution, Kévin fait partie des personnes plus sensibles à la préservation d'un espace de sécurité autour de lui, y compris lorsqu'il interagit sous forme virtuelle. 

 

📸 Annie Chénier
 

J'ai également appris, avec ce projet, que les interactions sociales sont réelles à partir du moment où les conditions d’accès sont facilitées : ce qui signifie avoir des médiateurs prêts à accueillir les participants, pour leur expliquer comment se déplacer, parler, aller à la rencontre des autres, et ainsi engager une conversation de qualité. Dans 4810 pixels, des médiateurs se tenaient prêts à guider les publics à chaque étage alpin, et des chercheurs, postés un peu plus loin dans les espaces, répondaient aux questions sur les recherches scientifiques en cours. 

L’apprentissage dans les métavers est relativement complexe, parce qu’il intervient sur différents niveaux de maîtrise : de la simple visite à la création d'univers entièrement personnalisés. On retrouve donc partout cette volonté de faciliter : des décors tutoriels sont créés par les plateformes pour découvrir leurs fonctionnalités et les encourager, comme ce concours mensuel organisé par RecRoom pour exploiter son outil de création Maker Pen. Souvent, ce sont les communautés elles-mêmes qui conçoivent leurs propres tutoriels, comme Educators in VR pour encourager la création par leurs pairs.

 

 

Chaque plateforme de métavers développe ses modalités propres pour des fonctionnalités similaires : par exemple la téléportation vers un autre lieu, qui est une fonctionnalité commune à tous les métavers.

Une fois les modes de déplacement acquis, un autre problème apparaît : dans les métavers, on ne sait pas toujours où aller. 

Le fait de naviguer dans un espace en 3D change beaucoup de choses dans notre rapport à l’information. Si les pratiquants de jeu vidéo vont sans doute se sentir plus rapidement à l’aise dans les métavers, les autres devront s'adapter à des règles virtuelles qui ne répondent pas exactement à celles du monde tangible.
 
Là encore, les plateformes de métavers vont vouloir nous venir en aide, par exemple en préparant des espaces d'accueil comme la Genesis Plaza de Décentraland, qui présente une sélection de destinations triées par catégories : à gauche les grands classiques, au centre les événements, à droite les plus populaires, c'est-à-dire les plus « peuplées » en temps réel. 
 


 
Que l'interface de navigation passe par ces colonnes doriques, par une programmation obscure comme dans AltspaceVR ou par une carte comme dans Second Life, dans tous les cas j'aurais assez peu d'indices sur l'endroit où je m'apprête à atterrir.

Au final, chaque plateforme de métavers est comme une ville nouvelle à découvrir.

En sortant du hall de gare, nous nous retrouvons devant un paysage inconnu, dans lequel nous allons chercher des repères pour nous orienter. Ceux-ci sont rares et vont laisser dans l’ombre de nombreux lieux qu’on aimerait peut-être découvrir aussi ? Alors nous allons nous raccrocher au parcours recommandé par la plateforme ; visiter les monuments incontournables, suivre les circuits touristiques classiques, pendant un jour, deux jours, trois jours… jusqu'à se lasser et avoir envie d'explorer d'autres recoins, quitte à s'aventurer dans des endroits inconnus, voire même, être totalement « perduuus dans le métaverse » : 

 


Et parfois, il arrive qu'on trouve par hasard des endroits dans les métavers où l'on se sent bien, des endroits apaisants, drôles ou insolites qu'on aura envie de garder et partager, comme une bonne adresse qu’on fait tourner entre amis. 

C’est pour cette raison que j’ai co-fondé l’agence Pizza, une agence de voyage virtuel qui vous accompagne dans des voyages croustillants dans les métavers. 

Il est temps de vous présenter Nicolas Frespech, co-fondateur de l’agence Pizza et enseignant en humanités numériques aux Beaux-Arts de Lyon, en France. Nous travaillons ensemble depuis cinq ans dans le domaine artistique et pédagogique.

 


Depuis le premier confinement dû au Covid-19, Nicolas et moi avons pris l’habitude de nous retrouver en réalité virtuelle. Nous avons très vite constaté à quel point nous avions le sentiment d’être vraiment dans la même pièce, en tous cas de vivre une expérience commune de visite, de jeu, ou de discussion, dans les métavers.

Dans l’agence Pizza, nous avons choisi des noms de scène, empruntés à une série télévisée canadienne qui met en scène les aventures d'une archéologue à travers le monde : je suis Sydney, et lui est Nigel. Nous avons une secrétaire virtuelle, Claudia, qui s’occupe des réservations. Nos apparences changent d’un métavers à l’autre : de Spatial à VRChat, de Cryptovoxels à Gather.

Alors en quoi consiste l’agence Pizza, exactement ?

Nous sélectionnons pour vous les meilleures destinations tous métavers confondus, à découvrir sur le site web voyage.pizza ; des événements et visites sur-mesure sont régulièrement organisés pour faciliter vos premiers pas dans les métavers. 

Chaque destination apparaît sous forme de fiche : elle est classée par catégorie, avec une illustration et un ensemble de tags pour en donner un aperçu. Si vous êtes prêts à visiter ce lieu, cliquez sur le bouton « Visiter » et suivez les indications de la plateforme concernée. Besoin d'aide ? Sollicitez notre équipe avec le hashtag #voyagepizza ! 

 


 

À ce jour, Voyage Pizza référence près de 80 destinations, toutes testées et approuvées par notre équipe, sur des critères de sélection très subjectifs. Vous y trouverez des festivals artistiques, des galeries d'art où s'exposent photographies, vidéos, sculptures et autres peintures 3D ; vous fréquenterez des lieux réels qui proposent une programmation virtuelle régulière, comme le Soda Studio basé à Johannesbourg, qui met à disposition un casque de réalité virtuelle à son public physique pour saluer les touristes du métavers connectés tout autour du monde. 

Vous trouverez aussi des lieux dédiés à la santé mentale, à l'inclusion, à l'échange et à l'écoute, car l'un des pouvoirs de la réalité virtuelle est de permettre à des personnes qui ne peuvent pas se déplacer, d'accéder à des lieux publics, ou se confier à des inconnus d'une manière totalement nouvelle étant donné que l'apprence physique réelle n'est plus la première impression que vous aurez de votre interlocuteur.

Vous préférez des lieux pour vous isoler ? Vous trouverez des endroits paisibles pour la méditation et l'évasion, y compris des lieux réels reproduits dans le métavers, comme le parc américain d'Ellingson qui démontre à quel point l’immersion virtuelle peut nous aider à maintenir positivement un lien avec la nature.

 

 

Pour trouver toutes ces destinations et vous en offrir la meilleure sélection, l’agence Pizza arpente énormément de lieux dans les métavers, des lieux pas toujours intéressants - forcément -, et dont on ne sait pas toujours si nous sommes autorisés à y pénétrer. 

Dans ce sens, notre pratique d’exploration se rapproche de l’urbex qui consiste à s’inviter dans des lieux abandonnés, de manière souvent illégale.

Très souvent, dans la plupart des univers virtuels que je visite, il n’y a personne d’autre que moi connecté en même temps. J’ai tout le loisir de me promener, d’observer tous les petits détails du monde, quitte à avoir le sentiment de pénétrer dans l'intimité de mon hôte. Il m’est arrivé d’interrompre des sessions de travail dans le métavers, parce que plusieurs utilisateurs étaient connectés dans le même espace virtuel, ce qui le rendait plus populaire et plus visible.

 

 

Si je peux me promener d’un espace à l’autre, en étant surprise à chaque téléportation, c’est grâce à l’ébullition de création à laquelle nous assistons, qui répond à un besoin de diversité global dans l’écosystème des métavers. 

Ainsi je lisais récemment cette phrase de Pascal Guitton et Nicolas Roussel, dans cet article sur les questions que posent les métavers  : 

La diversité, donc le choix entre différents métavers, est une condition nécessaire tant à l’auto-détermination individuelle qu’à la souveraineté collective

Cette prise de conscience a été amplifiée pour moi lors de la création du Second Lab : le premier métavers d'une collectivité publique en France, réalisé pour ERASME - le laboratoire d'innovation ouverte de la Métropole de Lyon. J’ai réalisé le Second Lab avec la même équipe d’artistes développeurs que 4810 pixels, et nous l’avons inauguré en janvier 2022. 

 

 

Le Second Lab est composé de différents espaces de création, fabrication, présentation, discussion, qui font référence à des lieux réels de la Métropole de Lyon. Inventer cet espace virtuel pour une collectivité, c’était se poser la question des services publics dans le métavers et la manière dont ils devraient être ouverts pour les agents de la collectivité tout comme pour les habitants de la Métropole de Lyon, et au-delà. 

Cette question anime plusieurs villes, métropoles ou régions dans le monde, et nous voyons émerger des ambitions de métavers public, comme la ville de Séoul qui a annoncé Seoul Metaverse, avec à l’horizon 2023 un premier service public virtuel où les fonctionnaires avatars fourniront le même service aux citoyens coréens que leurs homologues dans des bureaux tangibles. En parallèle, des villes comme Helsinki ont déjà révélé Virtual Helsinki, un jumeau numérique orienté grand public, avec des objectifs davantage tournés vers le tourisme ou le commerce. 

Si je reviens à mon agence Pizza, je me pose la question de son statut dans les années à venir. 

À la livraison du Second Lab, nous avons passé un temps conséquent à documenter notre travail et surtout à former les équipes d’ERASME pour qu’elles soient en mesure de modifier elles-mêmes leurs espaces virtuels, sans avoir besoin de refaire appel à nous en tant que prestataires. Cette transmission était facilitée par l’outil de création que nous avons choisi, c’est-à-dire la plateforme qui allait accueillir notre métavers. Il s’agit de Mozilla Hubs, le service open source de web 3D de Mozilla, que vous devez connaître pour son explorateur web Firefox par exemple. 

En concevant le Second Lab avec les équipes de la Métropole de Lyon, nous nous sommes posés clairement la question des usages : pour ce métavers, l'objectif était de participer en mode hybride à des événements de co-création (hackathon), de prototyper, de former et de transférer des compétences à d'autres équipes ailleurs dans le monde, mais aussi d'inspirer les participants connectés pour imaginer les futurs services de la métropole lyonnaise. Notre accompagnement a porté autant sur l’invention artistique que sur l’expertise technique. 

 

 

Avec l’agence Pizza, avec ce concept d’agence de voyage dans les métavers, nous portons cette problématique un peu plus loin. Aujourd'hui, nous sommes contactés par des journalistes, des entreprises, qui s’intéressent au métavers et nous demandent de décoder pour eux ce nouvel univers. Demain, l’agence Pizza sera-t-elle un service d’éducation aux médias ou au numérique, qui fera partie d’un programme public à l’échelle nationale ou européenne ? L’avenir nous le dira, et pour que le métavers reste attractif, il doit préserver toute sa diversité.

Aujourd’hui, ce sont les créatifs, les artistes, les architectes, les designers, qui font ce travail de formation, d’invention, de diversité du métavers. 

Ce sont les artistes, les commissaires d’exposition, les galeristes, qui inventent les passerelles entre la vie réelle, l’art numérique et le métavers, par exemple en organisant des vernissages dans Art Gate VR. Ce sont des artistes comme Patrick Moya qui habitent le métavers depuis quinze ans, parce que le métavers existait bien sûr avant l’annonce de Facebook, sous d’autres formes comme Second Life, et avant cela dans l'imaginaire collectif en provenance de la littéraire de science-fiction anglo-saxonne.

Ce sont des éducateurs, des pédagogues, des visionnaires, des développeuses comme Evgeniya Simmons qui inventent l’offre de service du métavers, en imaginant par exemple ce bateau de croisière sur lequel des agences de voyage réelles pourraient d’abord venir présenter en virtuel leurs séjours. 

 

 

Quand on rencontre une créatrice de monde comme Evgeniya, elle nous emmène avec enthousiaste visiter d’autres lieux de sa création : c’est ainsi qu'elle nous a téléportés dans son récif de corail où elle imagine installer les agences de plongée sous-marine. Le plus fascinant, c’est que j’ai réellement l’impression d’avoir rencontré cette personne, qui habite à New York et que je ne verrais peut-être jamais dans la vie réelle. Son avatar est simple mais je la reconnaîtrais sûrement à ma prochaine visite, même si elle change de coupe de cheveux ou de motif de robe, parce que je l’ai rencontrée une fois et que je l’ai entendue parler. Finalement, ce n’est peut-être pas nécessaire de personnaliser son avatar avec des accessoires ultra stylés et vendus sous forme de NFT ? Même si c'est plutôt bien vu d'arborer sa meilleure tenue à la Metaverse Fashion Week... 

Je sais reconnaître qui est qui entre Nicolas et moi sur cette photo, alors que nous avons tous les deux choisi le même avatar de petite boîte de tomate en conserve. 

 

 

Quand je choisis l’apparence de mon avatar, peu importe au final la couleur de mes vêtements ou de ma peau. Je sais que mon identité sera trahie plutôt par ma voix - mon empreinte vocale, mais aussi ma manière de bouger la tête, de regarder ou non mon interlocuteur, de bouger ou non les mains quand je suis en train de parler, et tout ça que j’interagisse sous la forme d’une grande femme avec Claudia dans mon sac à main sur Second Life, avec un oeil cyborg et en uniforme spatial dans BigScreen ou bien avec des cheveux bleus et un bindi sur le front dans Horizon, qui est la première image que vous avez eue de moi en lisant le programme du WAQ

 


 

Vous vous attendiez peut-être à ce que j'aie vraiment les cheveux bleus et un bindi sur le front, et je serais curieuse de savoir si vous m’auriez reconnue avec cet avatar dans le métavers, alors qu'à présent, vous m’avez entendue parler et vue bouger pendant toute cette présentation.

Pour conclure ce voyage dans les métavers avec l’agence Pizza - car nous abordons tranquillement la phase d'atterrissage, j’aimerais citer trois points de vigilance, ou trois risques, que je perçois pour l’avenir des métavers - sans parler des risques environnementaux de consommation énergétique, qui est un vrai sujet mais pour lequel je manque cruellement d’éléments de comparaison avec d'autres solutions de co-présence (organiser une réunion, une soirée, un voyage).

Premier risque : cultiver encore et toujours le même jardin

Je fais ici référence aux walled garden, ces jardins clos qui désignent dans le numérique des plateformes ayant très peu d’interactions avec les autres services extérieurs du web, pour contrôler au maximum ce qui se passe chez eux, notamment sur les contenus publicitaires. Si chaque métavers cible un certain type d’utilisateurs, personnalise son interface, ses interactions, c’est bien pour toucher son public en particulier. C’est flagrant sur des plateformes comme RecRoom qui visent des publics assez jeunes, en basant toutes leurs interactions sur des formes ludiques. 

 

 

Ce « nouvel Internet » est abordé dans la logique des marques qui se positionnent sur un segment marketing, devenu territoire dans le métavers : chaque marque choisit son partenaire économique. Spotify choisit Roblox, la NBA choisit RecRoom, le groupe Carrefour achète un terrain sur The Sandbox, le festival Coachella prend ses quartiers sur Fortnite, etc. 

Pourquoi investir autant dans un espace virtuel ? D’après une étude de Gartner parue en début d'année 2022, une personne sur quatre (soit 25% de la population) pourrait passer au moins une heure par jour dans le métavers, d’ici 2026.

Et ce public qu’on cherche à capter, ne serait-il pas en train de participer activement au jeu des marques, en prenant parti pour l’une ou l’autre des plateformes de métavers ? Sommes-nous tellement habitués à être des ambassadeurs des marques sur le web et les réseaux sociaux, que nous ne nous autorisons plus à être un simple touriste, qui se balade en ligne sans donner son avis, sans donner cinq étoiles, sans s’engager personnellement pour l’outil qu’il utilise ?

Personnellement, je crois plutôt à la nécessité des standards d'interopérabilité entre les plateformes, des circulations de contenus de l’une à l’autre, et quand je dis contenus, je pense aussi aux utilisateurs en tant que corps virtuels. C’est pourquoi j’ai créé l’agence Pizza : pour offrir une diversité de destinations à travers tous les métavers existants, et pas uniquement pour promouvoir les bonnes adresses d’une seule plateforme.

Deuxième risque : manquer d’imagination

Quand Meta fait la promotion de son Builder Bot, une intelligence artificielle qui est censée créer un univers virtuel sur simple commande vocale, cela me semble très révélateur que Mark Zuckerberg ait choisi le cliché de la plage. Evidemment, le robot va créer une plage de sable blanc, avec des palmiers, une ambiance tropicale, alors qu’il existe tellement d’autres manières d’imaginer une plage ! Le danger de la vision de Meta est de rendre notre imaginaire totalement rachitique, alors que nous avons besoin de le muscler. Et c’est assez difficile au final, de trouver dans les métavers des lieux qui sont inventés pour le virtuel, et qui ne sont pas simplement la reproduction d’un lieu réel.

 


 

Encore une fois, les créateurs sont indispensables à notre équilibre dans les métavers, parce qu’ils sont les seuls à pouvoir imaginer des univers fous que ce château de cartes labyrinthe qui abrite Bernie Sanders et ses moufles. 

Troisième risque : disparaître du jour au lendemain

Si je me connecte à une plateforme dont certains univers ne sont plus accessibles, comment puis-je me projeter dans un futur pérenne avec les métavers ?

Pour le lancement de l’agence Pizza, nous avons choisi la date des Journées Européennes du Patrimoine et un lieu très symbolique : l’Ouvroir. Cet univers virtuel a été imaginé par Chris Marker en 2008 sur Second Life, avec l’aide d’un développeur. Ce monde peut disparaître à tout moment si les ayants droits de Chris Marker ne prennent pas conscience de l’intérêt de préserver ce lieu. L’Ouvroir fait partie de notre patrimoine numérique, et si nous créons de nouveaux espaces virtuels dans le métavers, nous devons aussi penser à la manière de les préserver. 

 


 

Dans l’agence Pizza, nous avons choisi le selfie comme méthode d’archivage. Il permet de garder trace de ma visite dans un lieu, de qui j’étais à ce moment-là, sous quel avatar je me suis connectée. C'est aussi une manière de conserver le souvenir d’un bon moment partagé, d'une rencontre. C’est notre carnet de voyage, que nous exportons hors des métavers pour le faire circuler sur d’autres plateformes en ligne, les réseaux sociaux, et bien sûr le site web de l’agence Pizza. 

Nous arrivons au terme de ce voyage, j’espère vous avoir donné envie de voyager à nouveau en notre compagnie. 

Je vous invite à visiter notre site web, choisir une destination et vous y rendre, même si vous n’êtes pas équipés en casque de réalité virtuelle, car la plupart des destinations sont accessibles depuis votre ordinateur, parfois votre console de jeu ou même votre cellulaire. Si vous ne savez pas où aller, demandez un coup de pouce à Claudia ou bien piochez une carte de visite !

 

 

 

Revenez ensuite sur voyage.pizza pour nous écrire un commentaire et nous raconter votre séjour. Et pourquoi pas partager un petit selfie ? Nous restons disponibles avec le hashtag #voyagepizzza. 

Merci de votre attention.



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