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Dans les traboules du Second Lab

Retour sur un chantier de neuf mois et sur les étapes de gestation du premier métavers consacré à l’innovation publique. Il nous aura fallu passer par des décors comme celui-ci pour concevoir le Second Lab.


Le Second Lab est officiellement ouvert ! Il s'agit d'un métavers (contraction de méta-univers), c'est-à-dire un monde virtuel. Ce terme est utilisé pour décrire une version du web où nos interactions se font en 3D dans des espaces virtuels, persistants et partagés.  

ERASME est un service unique en France, qui contribue depuis 2015, par son action et ses méthodologies, à la politique d’innovation publique et numérique de la Métropole de Lyon. Son métavers, appelé Second Lab, est composé de sept espaces distincts : des espaces d'accueil, des espaces ressources et des espaces de création. Je ne les détaille pas ici car tout est très bien décrit dans cet article que je vous invite à consulter avant de poursuivre la lecture. 

 

 

Les plus pressés d'entre vous auront un aperçu aérien des espaces en visionnant la vidéo suivante, réalisée par Guillaume Seyller, qui a co-dirigé avec Kévin Ardito la conception artistique et technique du Second Lab. Je formais le troisième membre de l'équipe de création du Second Lab, avec sirdar électrique, en tant que spécialiste des espaces virtuels.

 

 

De nombreux échanges ont bien sûr été nécessaires pour aboutir à cette réalisation, mais surtout nous avons dû répondre à la question suivante : comment traduire l'identité d'un lieu et d'une équipe dans un format qui n'existe pas encore, celui du métavers ? C'est ce que j'aimerais vous raconter dans cet article.

Call to adventure

Tout commence au début d'année 2021. À sa demande, j'organise une curieuse expédition pour l'équipe d'ERASME : 11 personnes avec des profils d'ingénieurs, designers, créatifs, makers... En cordée virtuelle, chacun choisit son avatar et part à la découverte du versant du Plan de l'Aiguille à Chamonix, dans un décor que nous avions entièrement reconstitué en 3D. 

Il s'agissait d'un retour d'expérience sur 4810 pixels, un univers virtuel que nous avions conçu (Kévin, Guillaume et moi-même), quelques mois plus tôt pour le CRÉA Mont-Blanc et qui avait accueilli lors d'un événement à distance une petite centaine de visiteurs. Pour ERASME, c'est une première approche des fonctionnalités de la solution web3D Mozilla Hubs, avec laquelle nous travaillions. C'est aussi une expérience renouvelée de co-présence, de présence hybride qui doit donner le ton des travaux à venir. 

Peu après, c'est à notre tour d'être invités au Lab pour tester les prototypes, avec cette fois une demande précise : 
construisez-nous notre propre métavers. 

Cette première phase me semble représenter le S du SCUBA Framework, tel que Caitlin Krause l'a illustré dans sa présentation (« Wonder, Awe and Wellbeing in VR ») au Annual Global Virtual Reality Day

 


Avec 4810 pixels, nous avons joué les guides ou les passeurs au sein de l'équipe d'ERASME, nous avons initié une forme de transformation du monde indispensable pour lancer le projet. 

Dans le S du SCUBA Framework apparaît aussi la délimitation du périmètre, la commande, les attentes (« Set expectations »). Pour le métavers d'ERASME, elle tenait en quatre points : 

  • Inspirant, 
  • Collaboratif,
  • Frugal,
  • En lien avec les politiques publiques. 

À partir de là, le Second Lab allait naître. 

Territoires de recherche

Pour ERASME, le Second Lab devait contenir l'ensemble des espaces virtuels dédiés à leur approche du « remote design thinking », cette fois-ci en intégrant la médiation et le prototypage. Dans la phase de conception, nous avons beaucoup discuté de la fluidité de circulation nécessaire à un tel lieu : comment naviguer d'une salle virtuelle à l'autre, comment organiser les espaces au sein d'une même salle pour rythmer les événements, comment allier virtuel et présentiel pour faire comprendre qu'une personne derrière l'avatar est peut-être en train d'interagir dans le monde réel, enfin comment manipuler des objets à plusieurs en simultané et comment les présenter à des visiteurs.

 

Schéma initial de travail produit par ERASME

 

Lors de nos séances de brainstorming, nous nous égarons chacun dans nos territoires de recherche : je voudrais raisonner sur un mode fractal pour que l'espace de démonstration puisse s'agrandir à l'infini et intégrer les 15 nouveaux projets qui sortent du Lab d'ERASME chaque année ; Kévin imagine des ambiances sonores, des « petits habitants des lieux » qui animent les scènes, des passages secrets dans lesquels on ne pourrait entrer qu'en rétrécissant son avatar avec la commande /shrink ; Guillaume se lance dans des tests de textures et inonde un hangar de fumée noire pour poser les bases de ce qui deviendra le showroom. 

En parallèle, un sprint organisé avec l'équipe d'ERASME nous donne de solides orientations de scénarios et d'usages pour le Second Lab. Qu'il s'agisse d'un transfert de compétence autour d'un prototype ou bien d'une session de « problem solving », le virtuel doit permettre la rencontre concrète entre participants. 

Pour répondre à la problématique de la circulation d'un lieu à l'autre, nous avons opté pour une mise en lumière qui évoque différents moments d'une journée : ainsi la bibliothèque se trouve plongée dans une brume de petit matin, la techshop s'illumine sous le soleil de midi et l'atelier accueille les équipes sous une voûte étoilée. Cette correspondance entre espace et temps, nous l'avions déjà esquissée dans 4810 pixels, où la lumière du jour évoluait en fonction de notre ascension du gradient d'altitude.

 

 

Construire en VR

Nous avons convenu avec ERASME de procéder en deux temps : tout d'abord, une première livraison de maquettes doit permettre de valider les volumes, l'agencement des espaces et leur déambulation. Ce n'est qu'à la deuxième livraison que nous ajouterons les textures, l'ambiance lumineuse et la signalétique.

 

Maquette

Final

Maquette

Final

C'est un vrai challenge pour nos interlocuteurs de se projeter dans les espaces en devenir - nous y reviendrons plus loin. Pour l'instant, on tâtonne à grand renfort de salles sur Mozilla Hubs :



Ce qu'on recherche en premier lieu, c'est une navigation qui fera sens pour ERASME et les directions métiers de la Métropole de Lyon avec lesquelles ils collaborent, c'est la vision globale d'un espace porteur de promesses, c'est un style architectural qui rendrait le Second Lab unique. Et lorsque l'on se perd dans les premiers couloirs du musée, on se dit qu'il y a là une sensation propre au métavers qu'il faut exploiter : 


 

Il est instructif de comparer notre démarche à celle d'Adiba Muzaffar et Samuel Arsenault-Brassard, exposée dans l'article To Build A Museum: Designing the MOR's VR Architecture

Alors que pour le design du Museum of Other Realities, tout commence sur le papier (« Naturally everything began with drawings »), nous avons au contraire pris le parti de concevoir directement en 3D. Guillaume et Kévin ont organisé leur propre workflow entre Blender et Spoke pour pouvoir collaborer sur les mêmes scènes. L'un ou l'autre me partageait ensuite un lien Mozilla Hubs dans notre canal de discussion #room-wip-à-tester pour échanger nos impressions.  



 

Qu'est-ce qui fait plénière ? 

Dans l'article sur le MOR, Samuel Arsenault-Brassard convoque des halls emblématiques de différents lieux réels pour concevoir celui du musée virtuel : 

At this point, Samuel looked into what is and makes a grand hall, or what is it that what we perceive to be a hall (as visitors when standing in one).

La même question s'est posée pour le Second Lab dans le rapport à la plénière. Dans son article de présentation, l'équipe d'ERASME décrit :

Après une zone d’accueil et de prise en main [...], nous nous retrouvons dans une plénière pour tous les temps collectifs. Derrière cette plénière se cachent des lieux d’inspiration dans lesquels les participants pourront se perdre pour mieux appréhender la thématique du sprint à venir. 

Entre ces deux phrases, un point... et de nombreuses tentatives de modélisation de la plénière ! Doit-elle ressembler à un amphithéâtre physique ? Les participants vont-ils s'asseoir, faut-il prévoir un mobilier ? L'intervenant sera-t-il seul à parler sur scène (et d'ailleurs, y a-t-il une scène) ou bien les présentations vont-elles s'enchaîner ? L'écoute et la visibilité des intervenants ne serait-elle pas meilleure avec une ouverture supérieure à 180° pour que les auditeurs se répartissent tout autour du centre d'attention ?

Cette plénière se déclinera finalement sous trois formes, car nous avons conçu trois espaces différents dédiés à la même fonction (inspirer), comme trois univers en lien avec les métiers qu'ERASME accompagne (la nature, la ville, la culture).

 


La plénière virtuelle partage la même fonction de rassemblement que sa jumelle présentielle ; dans le Second Lab, elle va également jouer le rôle de courroie de distribution entre l'accueil et l'inspiration. 

No extravagant art style

Pour Adiba Muzaffar et Samuel Arsenault-Brassard, puisque le style de l'art VR est extravagant, le musée qui l'accueille doit l'être tout autant. Ce n'est pas du tout la consigne que nous avons reçue pour le Second Lab : au contraire, l'espace virtuel devait refléter l'espace réel sans en faire une copie à l'identique, mais en conservant une intention réaliste. 

Dans la première phase de conception, nous avons présenté à ERASME des moodboards illustrant le principe du low poly afin de valider la direction artistique. Nous avons également identifié ensemble les orientations esthétiques pour chacun des lieux d'accueil (nature, urbain, culture). La planche ci-dessous montre les images cochées en vert pour nous guider, et d'autres, en rouge, avec un signe d'interdiction ou de voie sans issue.

 

 

Ce lien au réalisme nous a permis de résoudre parfois des problèmes de circulation : par exemple remplacer une rampe trop raide en VR par un escalier qui ne donne pas le mal de mer, ou bien réduire les distances (donc les temps de déplacement) d'un espace à l'autre, ou encore habiller une bande grise un peu morose par une jolie piste cyclable. 

 


Portrait chinois d'une métropole

Pour satisfaire cette intention réaliste, nous devions revenir aux sources du cahier des charges et travailler le lien aux politiques publiques, tout en gardant à l'esprit que nous construisions un écrin au service de contenus à venir. En effet, la conception du Second Lab est un décor - ou un cadre de travail - qui sera aménagé en fonction des besoins.

 


 

Quels sont alors les signes distinctifs de la Métropole de Lyon ? À cette question, nous avons trouvé plusieurs réponses : son paysage avec sa skyline, la référence à certains lieux et monuments emblématiques, comme le pôle Pixel ci-dessus. 

Amarrée devant la bibliothèque, une barque à panneaux solaire rend hommage au bateau du 2e siècle exposé à Lugdunum (musée gallo-romain de Lyon Fourvière). Si l'on descend jusqu'en bas du bâtiment tout en verre et métal qui évoque un certain musée du quartier Confluence, on trouvera quelques mosaïques et ruines archéologiques. 

 


Qu'en est-il pour ERASME ? Comment le visiteur du Second Lab reconnaît-il immédiatement qu'il se trouve dans le laboratoire d'innovation ouverte de la Métropole de Lyon ? 

Nous avons commencé par modéliser les objets qui composaient l'environnement de ce service : par exemple les soft walls ou les lettres géantes en carton qui sont parfois implantées dans d'autres lieux que l'Urban Lab et qu'on associe immédiatement à l'ambiance des « mixs ». 

 

 

Après les objets et les éléments de mobilier de l'Urban Lab, nous avons modélisé des dispositifs plus ambitieux comme des prototypes, en les animant en 3D pour mettre en valeur leurs interactions. 

 

Paperzoom (ci-dessus) et iGirouette (ci-dessous)

 

Par la suite, un logo dédié au Second Lab a été créé par ERASME, qui fait écho au U d'Urban Lab tout autant qu'au symbole '' de la seconde. Une signalétique complète a été apposée aux endroits stratégiques du Second Lab, jusqu'au fanion sur le toit.

 

 

 

D'autres traits distinctifs, comme la mascotte, ont été modélisés sous différents angles. Nul doute que l'équipe s'en servira dans les scènes pour vous faire des surprises ! 

 


 

Un écran, un rêve et un jardin

Dans son ouvrage Poétique du blanc - Vide et intervalle dans la civilisation de l'alphabet, Anne-Marie Christin aborde le sujet de la mémoire et rappelle le conseil du poète Simonide de Céos. Pour mémoriser quelque chose, il faut d'abord choisir des lieux distincts, puis se former des images des choses que l'on veut retenir, enfin ranger ces images dans les divers lieux. 

Ainsi l'ordre des lieux conserve l'ordre des choses ; les images rappellent les choses elles-mêmes. Les lieux sont les tablettes de cire sur lesquelles on écrit ; les images sont les lettres qu'on y trace. 

- Cicéron, dans De Oratore

L'intégralité du chapitre, intitulé « La mémoire blanche », est troublante d'acuité lorsqu'elle est lue sous l'angle des pratiques de réalité virtuelle avec Mozilla Hubs. Anne-Marie Christin évoque une « modalité du regard », une « petite scène composite » et rappelle l'importance de « l'intervalle » entre les choses. On s'en rend particulièrement compte lorsqu'on travaille sur la scénographie d'un lieu en 3D. Et les cartouches comme lieux de mémoire ressemblent étrangement aux mots que l'on fait flotter dans les airs pour fixer un message. 

 

Et Anne-Marie Christin d'écrire : 

Virtuel donc, non pas au sens où il n'impliquerait aucune matière [...] mais parce qu'il constitue l'espace d'accueil préalable de toute formulation, ce lieu visuel, intimement présent à chacun, et de ce fait, indéfiniment modifiable, tient à la fois de l'écran, du rêve et du jardin. 

La réalité virtuelle a ceci de particulier qu'elle est à la fois un lieu intime et un espace de rencontre. Dans la plupart des plateformes VR, on commence par se préparer dans un espace à soi, dans sa maison, sa « home », avant d'aller à la rencontre de l'autre. 

Dans les premières phases de formation au Second Lab, chaque membre de l'équipe d'ERASME se créait son espace à soi en dupliquant un modèle et en l'aménageant à sa guise. Puis, la collaboration s'est mise en place. Nous avons constitué une bibliothèque d'objets (« assets ») pour que chacun aille piocher le mobilier dont il aurait besoin.



On reconnaît ci-dessus les structures auto-portantes utilisées dans le showroom et disponibles dans la bibliothèque d'objets personnalisée sur Mozilla Spoke. Pour que le Second Lab vive et remplisse sa fonction, il était indispensable que l'équipe s'approprie les lieux et ses composantes, sans être tributaire de mes collègues développeurs 3D. 

En donnant les clés du Second Lab à ERASME, nous avons documenté un maximum de connaissances sur ce nouveau métavers et sur les fonctionnalités des outils techniques ; nous avons également animé des sessions de formation en distanciel ou en présentiel - en faisant attention de ne pas se brûler les lèvres avec le café virtuel qui, paraît-il, est très chaud. 

 


Le Second Lab est-il un tiers lieu ?

Dans son article Coworking, fablabs, écolieux… Les Tiers Lieux ou la nouvelle théorie de « l’évolution des espaces », le cabinet de recrutement Elaee définissait le tiers lieu comme un espace « où les individus peuvent se rencontrer pour se réunir et échanger de façon informelle. » 

Il ne s'agit ni du foyer familial, ni du lieu de travail, mais d'un espace intermédiaire. Comment, alors, considérer le Second Lab ? C'est un lieu où l'on travaille, mais d'une autre manière. Ce n'est pas un chez-soi, mais on doit s'y sentir bien installé et légitime. Ce n'est pas une réplique à l'identique, un jumeau numérique de l'Urban Lab, mais les références au monde réel sont évidentes. Ce n'est pas non plus un site d'attraction touristique, du moins pas encore

Il n'est peut-être pas nécessaire de faire entrer le Second Lab dans une case à ce stade, mais la question du statut d'un tel lieu va se poser très rapidement. Si le Second Lab est le premier métavers public d'innovation ouverte au sein d'une collectivité, il ne sera sans doute pas le dernier.

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