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Sur Minecraft, le beau ne s'apprend pas

Dans un jeu vidéo comme Minecraft, comment donner à un bâtiment ce petit quelque chose qui fait son charme ? J'ai commencé à construire un chalet (pas ordinaire) en suivant les conseils des meilleurs architectes.

 

Depuis le début de l'année, je travaille avec le CREA Mont-Blanc au projet de rénovation de l'Observatoire du Mont-Blanc. Ce bâtiment a été construit, investi et légué par Joseph Vallot, figure majeure de l'histoire scientifique de Chamonix. L'équipe du CREA Mont-Blanc en occupe les locaux, mis à disposition par la commune.

L'Observatoire du Mont-Blanc à Chamonix

Sans toucher au cadre bucolique et à la vue sur les montagnes, une rénovation du bâtiment semble indispensable pour permettre à ses occupants de travailler dans de meilleures conditions - notamment avec un réseau internet satisfaisant.

A la demande du CREA Mont-Blanc, j'interviens en amont du cahier des charges de la rénovation pour mobiliser l'intelligence collective et faire en quelque sorte le portrait chinois d'un futur lieu de la recherche scientifique en montagne.

Notre objectif est d'organiser une journée créative pour rassembler décideurs, usagers et partenaires. Hélas, le planning est mis à mal par les mesures de confinement : cette journée est reportée à une date ultérieure. Nous décidons d'inventer un nouveau format créatif entièrement en ligne et à distance, pour amorcer la réflexion et mobiliser les acteurs du projet.

Dans ce contexte, je pars à la recherche d'une solution virtuelle pour maquetter un bâtiment : le modéliser en 3D, l'intégrer à un environnement et inviter nos participants à le découvrir, depuis chez eux.

Je pense tout de suite aux solutions en réalité augmentée de Nucleus VR qui permettent de se retrouver à plusieurs autour du même objet virtuel. Mais la friction matérielle et technique est trop forte : l'initiation à la réalité augmentée prendrait trop de place par rapport à notre sujet.





Je me tourne alors vers les solutions de salon virtuel, comme le Laval Virtual World. Ces nouveaux lieux de networking aspirent à reproduire les formats de l'ancien monde : conférence, keynote, cocktail... On peut mener ses affaires "comme en vrai" avec son avatar.




L'esthétique de ces salons virtuels me fait penser à celle de Second Life. Je découvre le Moya Land, île de 260 000 m2 créée par l'artiste Patrick Moya. Lors d'une visite guidée de son univers, le créateur devenu créature m'explique qu'il conçoit ses expositions directement dans Second Life, en reproduisant les musées, galeries d'art et autres chapelles qui vont l'accueillir dans le monde réel.




Second Life semble parfait pour se lancer dans une maquette à l'échelle 1:1. Seul problème : le coût. Pour construire, il faut louer un terrain. Les échanges dans Second Life se font dans la devise locale : le Linden Dollar. Mais pour acheter une île, c'est bien en USD que l'abonnement mensuel s'affiche.




Pourquoi pas, mais pas pour l'Observatoire du Mont-Blanc. J'ai plutôt besoin d'un espace créatif, où chaque personne pourra rapidement apprendre les manipulations de base et participer à la construction de ce bâtiment presque imaginaire.

Depuis le début d'année, le jeu vidéo Minecraft s'est déjà invité plusieurs fois dans mon fil d'actualités. D'abord avec The Uncensored Library : une bibliothèque initiée par Reporters Sans Frontières qui donne accès aux articles censurés des journalistes à travers le monde.




Puis avec l'annonce de PippenFTS qui a reproduit dans Minecraft l'intégralité de la Terre à l'échelle 1:1. Après avoir créé les reliefs naturels, il en appelle aux joueurs du monde entier pour l'aider à reconstituer les ouvrages humains sur l'ensemble de la surface du globe.




Je n'ai jamais joué à Minecraft : le jeu est sorti en 2011, je suis alors bien loin des bancs de l'école et pas encore impliquée dans les projets pédagogiques.

Surtout, j'ai deux a-priori sur ce jeu vidéo :
  • il est destiné aux enfants (ou aux enseignants),
  • il faut de nombreuses heures de jeu pour pouvoir récolter des ressources et construire quelque chose.
Les rares vidéos que j'ai vues m'ennuient profondément, j'ai du mal à comprendre l'intérêt d'aligner des blocs. Je n'envisage pas non plus de passer des heures à reproduire des monuments existants dans des dimensions gigantesques : les fameux MegaBuild.

Sur Minecraft, tout est fait de bloc. Chaque bloc est texturé : il tente de reproduire l'aspect de matériaux réels, comme ici de la terre recouverte d'herbe.


(source image)

Quand on m'apprend que le mode Créatif permet de jouer avec des ressources illimitées, je commence à changer de point de vue sur Minecraft. Je crée mon profil, choisis un joli terrain de Clairière de forêt et explore la bibliothèque de matériaux à ma disposition.


(source image)

Je joue sur iPad Mini (première génération : 2012) et Minecraft s'exécute de manière étonnamment fluide. Le tactile est hyper sensible : pour un bloc posé, j'explose trois blocs d'herbe. En un rien de temps, mon terrain ressemble à un champ de mines. J'ai besoin d'en apprendre davantage sur la construction.

Mes premiers tutoriels d'architecture sur Youtube sont réalisés par des enfants ou des adolescents. Ils m'expliquent combien de blocs compter pour faire monter un immeuble de x étages. Intéressant pour une première approche mais pas exactement ce que je recherche.




J'atterris alors sur la chaîne d'Antroz59. Cet architecte trempe plutôt dans le médiéval. Comment bien construire sur Minecraft : c'est le titre de la première vidéo que je regarde. 

Comme tout architecte qui se respecte, vous cherchez le réalisme [...] le côté épique. C'est ce qui fait que votre serveur va être meilleur ou moins bon qu'un autre.

Qu'est-ce que ce côté épique ? Antroz59 avance une réponse :
[Ce qui donne à] la construction quelque chose de spécial [...]

Ce petit quelque chose, Antroz59 a du mal à le définir précisément. C'est un équilibre à trouver (il parle de balance). Il y a un rapport avec l'aléatoire, le random.

On cherche des blocs aléatoires, qui n'ont rien à faire là normalement, mais qui rendent le tout très homogène - et très beau.

C'est aussi un ensemble de règles qu'on peut résumer ainsi :
  • Varier les matériaux de la même famille (la pierre, par exemple)
  • Donner l'effet qu'il manque quelque chose (une brique, un bout de mur...)
  • Mettre du relief
  • Faire la différence dans la palette de couleurs

Capture d'écran de la vidéo d'Antroz59 : apporter un côté épique à une façade


A mon tour ! Je monte les murs, pose les fenêtres. Je travaille de mémoire, sans comparer avec les photos du bâtiment réel. Après tout, le projet de rénovation s'appuie en grande partie sur un ressenti. En revanche, j'applique les conseils d'Antroz59 à la lettre et je déstructure autant que faire se peut.


Donner du relief


La façade de l'extension

L'entrée principale


Sur la terrasse


Lors de ma première partie, je ne sais pas comment me déplacer en volant. J'essaie alors de construire en montant des échafaudages, en escaladant la colline, en empilant des blocs que je détruis par la suite. C'est un vrai soulagement d'apprendre à voler pour pouvoir poser le toit !



Avant de savoir voler

Après avoir appris à voler

Le toit est particulièrement délicat à travailler. A droite, j'improvise une terrasse végétalisée. Parmi d'autres essences, je plante des sapins. A mon retour dans le jeu, l'arbre a poussé de plusieurs dizaines de mètres. 

Quant à la partie en bois (de sapin, bien sûr), je trouve son uniformité hideuse mais mes tentatives de décoration aléatoire se soldent par un échec. J'y reviendrai plus tard (peut-être).



 



La table de pique-nique devant l'Observatoire du Mont-Blanc me pose quelques difficultés. Je connais l'attachement de l'équipe à leurs réunions extérieures et j'aimerais en conserver l'esprit. Après plusieurs approches réalistes, j'opte pour une représentation stylisée qui respecte davantage, à mon avis, les proportions d'échelle.







A l'intérieur, je dispose un cabinet d'écriture pour rendre hommage à Joseph Vallot : il a rédigé plusieurs ouvrages dans cet espace qui lui servait de bureau. L'accès au savoir (donc aux livres) me semble indispensable. Je décore les murs avec plusieurs bibliothèques. Il y a aussi une table de cartographie pour suivre les déplacements de la faune alpine. Au sol, on garde l'herbe fraîche et dans le dos on s'appuie contre la montagne.





Dans l'autre partie du bâtiment, j'aménage un coin pour les chercheurs de passage qui voudront se reposer après une longue sortie de terrain. 





Enfin, je cherche les petits détails qui feront de ce bâtiment un modèle d'innovation énergétique : pour l'instant, je ne trouve qu'un capteur de lumière. Je l'installe sur le toit, c'est déjà ça.





Après plusieurs heures de construction, je me rends compte de toutes les opportunités de jeu qu'il me reste à découvrir : par exemple la possibilité de créer des matériaux. 

Si le jeu peut sembler répétitif, c'est surtout par la répétition du geste : poser un bloc, encore et encore. Mais aussi casser, remettre, prendre du recul, changer de point de vue, retirer le surplus. 
Je comprends mieux Antroz59 lorsqu'il évoque dans un guide de l'architecte Minecraft la recherche des détails :
C’est ici que votre création devient un chef d’œuvre digne de ce nom, digne d’un véritable architecte ! Vous devrez passer des heures sur cette partie et, voire même, ne jamais la terminer. Gardez toujours en tête qu’il y a toujours quelque chose à modifier !

Je m'arrête là pour l'instant. Un dernier panneau de bienvenue et je quitte ma clairière de forêt. 





Pas sûre au final d'avoir envie que d'autres personnes participent à la rénovation de mon observatoire. C'est juste un chalet ordinaire, quelque part au milieu des montagnes. Il n'y a même pas de neige. Et puis de toutes façons, il n'est pas fini.




[Mise à jour] : les encouragements de mon conseiller architecture. Merci !


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