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C'est le plus beau des festivaux

Pour la deuxième année consécutive, le festival d'Annecy propose aux cinéphiles du monde entier de visionner ses programmes en ligne. De l'édition 2020 à l'édition 2021, après une année de pandémie et de culture à distance, comment le festival s'est-il adapté ?

 

Bandeau web du festival 2021

 

En juin 2020, le festival international du film d'animation d'Annecy avait créé l'événement en annonçant un festival 100% web. L'accréditation donnait accès à une sélection de contenus en ligne, dans une formule grand public, étudiante ou professionnelle. 

Un an plus tard, retour (ou évolution) vers une édition hybride qui « retrouve son public », comme le titre la presse : chaque formule d'accréditation existe en version web ou en version présentielle - pour être exacte, l'accréditation donne accès à la version « online » exclusivement (moins cher) ou non. 

 


Ces offres, évidemment, font le plaisir des cinéphiles qui ne peuvent ou ne veulent pas se déplacer. Au-delà de l'opportunité de visionner les sélections, un certain nombre d'incohérences ou d'imprécisions me laissent pourtant à penser que l'édition « online » n'est finalement qu'une solution par défaut. 

Dispersion

En 2020, alors que l'unique option pour vivre le festival est sa version web, l'équipe du festival d'Annecy choisit de communiquer avec deux hashtags : #annecyfestival (le référent historique) et #AnnecyOnline. Une manière de souder la communauté autour de cette expérience inhabituelle ? 



Pourtant, l'ambiance a du mal à prendre : contrairement aux éditions précédentes, où journalistes, curieux et dessinateurs partagent leurs coups de cœur dans une joyeuse cacophonie, la version #AnnecyOnline semble laisser les amateurs de marbre. Il y a comme un air de non-urgence, une certaine légèreté à traiter le sujet qui pourrait bien attendre une année de plus, tant qu'à faire.


 

Il faut préciser que l'édition 2020 a été étendue sur deux semaines, contrairement à l'unique semaine traditionnelle. Cet étirement du temps, je l'ai ressenti à titre personnel dans l'étiolement du respect des programmes : alors que la première semaine était propice à un visionnage in extenso des sélections (1h15 de courts métrages environ pour chaque playlist), la deuxième semaine s'est composée de picorage, je partais pêcher sur la plateforme en ligne les incontournables que je ne voulais pas manquer avant que les portes numériques ne se referment. 

 

 

Frustration 

Dans cet univers 2D où (contrairement à l'écran de cinéma) les contenus audiovisuels sont accessibles en un clic, il était difficile de concevoir l'impossibilité de lire certains courts ou longs métrages. La frustration fait partie du quotidien du festivalier en ligne, au même titre qu'une salle de cinéma remplie trop vite qui nous laisserait à la porte.


 

La plateforme officielle devient alors un carcan et les cinéphiles s'évadent vers... Youtube (!) pour partager quelques images des films qu'ils ont aimés.

 

 

Quand l'organisation du festival renvoie également à sa chaîne Youtube pour valoriser les interviews des réalisateurs, c'est une impression mitigée qui m'envahit : pourquoi ne pas davantage éditorialiser la plateforme en ligne au profit des festivaliers accrédités ? 

 


 

Confusion

En tant qu'habituée du festival, je dois reconnaître ma difficulté à me repérer dans les contenus en ligne. Comment faire la part des choses entre sélection officielle, sélection contrechamp (qui est également primée) et perspectives ? Sans hiérarchie ni recommandation tierce, je m'emmêle les pinceaux.

Des retours identiques aux miens ont dû être formulés auprès de Kinow, le fournisseur du service de vidéo en ligne, car l'édition 2021 est beaucoup plus claire (au sens littéral et figuré) que celle de 2020 : 

 



En 2020, quand un texte explicatif accompagne une sélection, il est incroyablement peu optimisé pour l'écran : 

 


Si vous êtes déjà venu(e) au festival d'Annecy, vous vous souvenez du poids du sac que l'on vous remet au retrait de votre accréditation : il est dû à l'Officiel, catalogue de tous les films projetés pendant le festival. Cette bible des cinéphiles est une relique que je conserve précieusement, d'année en année. 

 


 

Or, en 2020, l'équipe du festival choisit (sauf erreur de ma part) de ne pas éditer de catalogue, mais uniquement des affiches et des carnets « souvenirs ». 

 


 

Ce choix contraste furieusement avec d'autres stratégies : au même moment, le ZKM (Center for Art and Media Karlsruhe) inaugure virtuellement son exposition Critical Zones et annonce fièrement la sortie du catalogue, terminé, nous explique Peter Wiebel, avant l'exposition ! (à partir d'1h36min dans la vidéo)

 


L'équipe du ZKM ne s'est d'ailleurs pas trompée en orchestrant de main de maître un lancement en ligne : les événements virtuels permettent aux professionnels et au grand public de se retrouver, de partager, d'échanger et le festival doit être un prétexte à ces retrouvailles, même à distance. 

Bulle de filtre

Les rares comptes sociaux qui vont tenter de lancer les débats en 2020 s'en mordront les doigts : par exemple, aucune réponse à ce tweet pourtant plein de bonne volonté (et avec les deux hashtags).

 

 

Face à l'indifférence du public habituel, j'ai opté pour une sphère plus intime : celle de mes proches. L'édition en ligne était l'occasion de partager des moments ensemble, de vivre les mêmes émotions (souvent le rire) et de (re)bâtir des références communes. 

 

 

Il y avait une forme d'émulation à décider ensemble d'un rythme de visionnage, tout en respectant les envies et disponibilités de chacun. Vous avez reconnu l'interface : ces échanges avaient lieu sur WhatsApp, messagerie instantanée qui a pris ses aises en France bien après d'autres pays dans le monde, jusqu'à son abandon progressif à venir (?) au vu de ses nouvelles conditions d'utilisation

Ce groupe social traduisait également des codes et références propre au festival d'Annecy : 

 


C'est comme un langage à décrypter ; certaines choses s'expliquent, d'autres non. 

 


 

Ce qui manque en ligne, le festival d'Annecy n'essaie pas d'y pallier. Présente sur de nombreux médias sociaux, l'équipe met à disposition un social wall qui m'évoque un parfum désuet des années passées, sans la moindre ouverture vers les nouveaux outils qui pourraient faire communauté comme Discord, Twitch ou AltspaceVR.


 

En comparaison, le festival Burning Man, entièrement virtualisé cette même année 2020, ouvrait de nombreux « camps »  en ligne comme espaces de célébration.

À Annecy, la communauté cinéphile ne semble pas transposable hors de son contexte. Elle se constitue en salle au moment où un avion lancé depuis le dernier rang vient toucher l'écran, ou sur le Pâquier quand le public s'abrite d'une pluie que Météo France n'avait pas annoncée. Car un festival n'est pas seulement un enchaînement de contenus, c'est aussi une ambiance, des gimmicks, des habitudes. 

Plasticité

En ce sens, les interviews de réalisateurs citées plus haut viennent prolonger la tradition des P’tits Dej du court, format assez long d'1h15 où l'on revenait, équipé d'un café et d'un croissant, sur un film projeté en compétition la veille. Avec Youtube, le contact avec les réalisateurs sont plus francs, plus spontanés... et plus courts !

Mais surtout, la version web permet une plasticité inouïe. Le rapport au film est bouleversé : il est soudain possible de visionner deux fois d'affilée le même court métrage, de revenir en arrière, voire même d'en extraire des séquences ou des captures d'écran ! 

 


Capture d'écran de Yo, par Begoña AROSTEGUI (voir la fiche)

Pouvoir capturer des frames depuis un film animé (par définition) était pour moi une véritable jubilation. Alors pourquoi n'avons-nous pas vu abonder sur le web des captures d'écran, des memes, des GIFs, des extraits vidéos, bref tous les format du web qui font circuler des images que nous aimons ? 

Déni

Et que dire de l'accès impossible aux œuvres de réalité virtuelle, qui devraient faire partie des programmes proposés à distance, à la fois en raison du risque sanitaire (pour éviter de manipuler casque et manettes les uns à la suite des autres) et de la facilité de diffusion de ce type de film ? 

Au mois de juin 2021, une semaine avant Annecy, le festival de réalité virtuelle de Hambourg VRHAM! proposait une formule hybride autrement plus ambitieuse : gratuite, elle s'adressait à tous les types de public en fonction de leur équipement matériel (PC, carboard ou casque VR). 

 


Une application dédiée, limitée dans le temps pour correspondre à la durée du festival, m'a permis de profiter du cinéma VR tout comme de l'exposition interactive. 

 


 

On retrouve d'ailleurs le même Recoding Entropia de François Vautier à Hambourg comme à Annecy, preuve que la limite de diffusion n'est ni technique ni juridique. 

 



Le festival d'Annecy n'avait ouvert qu'en 2018 la compétition officielle aux œuvres de réalité virtuelle ; étendue depuis aux œuvres de réalité mixte (XR), il devient urgent d'en mettre à jour l'accès pour lui donner une visibilité méritée et pas seulement une influence qui ruisselle sur les formats 2D.

En conclusion, si le contexte sanitaire a pressé le festival d'Annecy d'adapter ses contenus à une technologie de diffusion personnalisée, via sa plateforme en ligne, il lui manque encore les codes de la culture web pour entrer en contact avec son public, encourager la propagation des images et leur appropriation. Annecy, on te le chante chaque année : tu es le plus beau des festivaux, merci pour tous tes efforts, ne lâche rien et continue dans cette direction. Promis, on se retrouve au bord du lac. 

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