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Coopérer sans un mot

Les études l'ont prouvé : entretenir un lien social en réalité virtuelle a des impacts bénéfiques sur notre équilibre mental. Au-delà du moment partagé, de véritables stratégies de coopération sont mises en place pour construire, ensemble, une œuvre collective. 

 

Photo de groupe dans The Under presents


Lors du premier confinement en mars 2020, des chercheurs italiens ont proposé à plus de 400 participants de suivre un protocole visant à réduire le stress lié à la pandémie de Covid-19. 

Cette étude s'appuie sur la réalité virtuelle puisque cette technologie permet de construire des environnements sensoriels réalistes stimulants pour l'utilisateur. 

(...) the VR experience tries to mimic the brain's model as much as possible—the more similar the VR model is to the brain model, the more the individual feels present in the VR world—making it the perfect tool for experiential learning

- Riva G, Wiederhold BK, Mantovani F. Neuroscience of virtual reality: from virtual exposure to embodied medicine. Cyberpsychology, Behavior and Social Networking 2019; 22:82–96


Pour donner un cadre aux participants de cette étude, l'équipe s'est appuyée sur The Secret Garden, une vidéo à 360° mise à disposition sur Youtube.

 

 

C'est à travers la fréquentation de lieux et de personnes au quotidien que l'on construit son identité, explique le Pr Giuseppe Riva. Ainsi, l'utilisation de la VR une à deux fois par jour peut nous aider à définir nos objectifs et à éveiller notre mémoire autobiographique, ainsi que nos rêves. 

D'autres équipes développent d'ailleurs des programmes de bien-être psychologique en réalité virtuelle, comme TRIPP®, le « fitness de votre moi intérieur ».

 

Un membre de l'équipe de TRIPP®


Mais ce qui m'intéresse particulièrement dans l'étude italienne, c'est qu'elle encourage les participants à partager leur expérience avec leurs proches. 

Une fois qu'il leur a permis de consolider leur estime de soi, le protocole du Secret Garden propose aux participants d'éveiller leur sentiment d'appartenance à une communauté. Bonne pioche : il s'agit justement de l'argument principal d'une majorité d'environnements en VR, depuis les jeux multijoueurs jusqu'aux événementiels VRchat ou AltspaceVR, en passant par la reproduction d'une séance de cinéma chez Bigscreen.

 


La plus-value sociale est aussi ce qui m'a interpellée lors de la conception de 4810 pixels : un environnement 3D de médiation scientifique lancé en décembre 2020 avec le CREA Mont-Blanc. 

 


Bien avant l'ouverture au public et les nombreuses interactions entre visiteurs, nous avions constaté les effets positifs d'un travail collaboratif en ligne dans un espace en trois dimensions. Quand nous étions connectés en même temps au même endroit, nous avions réellement l'impression de nous voir « en vrai » et de reconnaître les gestuelles propres aux uns et aux autres, malgré l'apparence interchangeable et impersonnelle de nos avatars.

 




Les fonctionnalités de l'outil 3D choisi nous permettaient de partager en direct des images de référence pour arbitrer les orientations artistiques. Nous avons aussi transformé des phrases écrites dans le chat en objets 3D modifiables, pour positionner dans l'espace des commentaires visant à améliorer la scénographie ou mettre à jour les ressources implantées.



Dans le cadre de 4810 pixels, l'espace immersif a été bâti par nos soins : il est le fruit d'une collaboration, c'est-à-dire de notre participation à l'élaboration d'une œuvre commune. C'est sûrement pour cette raison que je m'y suis sentie particulièrement à l'aise. 

Dans d'autres contextes en réalité virtuelle, il s'agit moins de collaborer que de coopérer, autrement dit parvenir à une entente au sein d'un groupe en vue d'accéder à un but commun. Certains jeux vidéos exigent de leurs joueurs une coopération très forte : c'est le cas de The Under presents

Dans ce puzzle game, le studio indépendant Tender Claws s'est associé avec Piehole, un collectif de théâtre expérimental, afin d'intégrer des scènes de perfomances live réalisées par un panel d'acteurs professionnels. 

 


Parmi les achats in-game : un ticket d'entrée pour Tempest, adaptation libre de Shakespeare qui obéit aux mêmes conditions d'accès que si elle était jouée dans une salle de spectacle physique et tangible. On achète son ticket et on arrive un peu avant l'heure de la représentation. C'est à l'acteur ensuite de nous mobiliser pendant les 40 minutes du spectacle, en compensant le silence de nos avatars par un monologue en grande partie improvisé. 

Oui : contrairement à tous les autres univers multijoueurs que j'ai pu explorer, TUP (pour les intimes) ne permet pas à ses joueurs de parler. 

Pourtant, il est indispensable dans le jeu de construire une mémoire collective pour se transmettre des informations ! Il faut aussi communiquer les uns avec les autres pour s'organiser et résoudre les énigmes. Les créateurs de TUP en sont conscients

These spells (...) are something we’re excited for players to experiment with on their own, discover in live actor encounters and teach one-another.

 

Ils ont développé des fonctionnalités qui permettent aux joueurs d'inventer une nouvelle communication gestuelle, comme par exemple se serrer la main au travers d'un objet tenu en commun. 

C'était sans compter sur l'ingéniosité de la communauté de joueurs : alors que Tender Claws publie un tutoriel d'aide au démarrage pour les commandes indispensables, les joueurs lancent un wiki pour cartographier l'univers de TUP, faire la liste des spectacles, reconnaître les acteurs, se transmettre les formules magiques... Bref décrypter l'intégralité du jeu.

 



Mais c'est surtout dans le flux que la communauté s'active : sur Reddit, un canal « non officiel » d'un millier de membres redonne la parole aux joueurs pour demander de l'aide, partager des difficultés et surtout remercier ceux qui les ont aidés.










Et lorsque les joueurs s'invitent à rejoindre un serveur Discord pour communiquer encore plus facilement, il s'agit d'un club


 

En plus d'une communication gestuelle rendue possible par les claquements de doigts, les mouvements de tête et de mains des avatars, les joueurs de TUP ont mis à profit la création d'objets dans le jeu pour indiquer qu'ils font partie du club. Ainsi, si un autre joueur réalise devant vous une salière dorée et vous l'offre, cette personne vous invite en réalité à se retrouver sur l'application Discord. 

 



Une fois la communauté rejointe, encore faut-il se reconnaître : comment retrouver le pseudo du joueur qui se trouvait devant nous, et dont l'apparence change en fonction de son évolution dans le jeu ? 

Nouvelle astuce : l'utilisation de totems ! A côté de la salière dorée (qui représente l'appartenance au groupe), le joueur va créer un objet qui représente son identité, autrement dit son blaze.

We have a system to recognize others in TUP using totems, which are magical items that are assigned to each of us to identify each other (like a golden egg, a big fork, etc), all of which can be found and/or crafted in-game. My totem is a big and gold soda can, which I (hopefully) got across near the end of our session together. We can ask each other who we are with a gold salt shaker, and to reply, we just create our totems

- Sodapie4 (b&g soda can) dans le serveur Discord 

 

Pour compléter le dispositif, les joueurs ont mis en place un annuaire consultable sur Google Sheets, qui indique à la fois les identités de chacun et les places disponibles. On y retrouve effectivement sodapie4 dans la case correspondant à sa description.

 


Et les nouveaux joueurs de demander : comment fait-on pour se voir soi-même ? Comment savoir quel masque et quel chapeau je porte ? 

Contrairement au Secret Garden de nos chercheurs italiens, dans TUP on obtient d'abord le sentiment d'appartenance à un groupe avant de construire son identité... puis d'aider les autres à le faire. 

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