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Merci de ne pas couper mon micro

Avez-vous remarqué, vous aussi, comme certains comportements peuvent nous heurter quand nous collaborons en ligne ? Disons, au hasard : quand quelqu'un coupe votre micro en visio.





Fin avril, j'ai animé mon premier "sprint confiné" : avec le CREA Mont-Blanc, nous avons convié une trentaine de participants à réinventer ensemble un bâtiment emblématique de la recherche scientifique à Chamonix. Les échanges se déroulaient entièrement à distance pendant des créneaux précis. Nous nous sommes appuyées sur des méthodes de créativité pour écrire le format de cette expérience d'idéation collective en ligne.


Un espace de travail prêt à accueillir les participants


Pendant l'animation de ce sprint, et dans le contexte particulier des semaines de confinement liés à la crise de la Covid-19, j'ai été particulièrement sensible aux petits gestes numériques qui pouvaient instaurer un climat bienveillant ou, au contraire, être hostiles au partage d'idées.

Le déclencheur a été à la fois anodin et brutal : j'ai pris conscience que je pouvais imposer mon point de vue aux autres participants, grâce à une fonctionnalité de notre outil collaboratif.


Cet outil, c'est Mural.
a digital workspace for visual collaboration
Cette plateforme permet de travailler à plusieurs en simultané sur des documents en ligne, avec des post-its (virtuels), des formes, des images, etc.




Tous les participants accédaient à l'espace de travail en ligne ; ils avaient les mêmes droits pour éditer les contenus. En tant que facilitatrice, je disposais de droits supplémentaires, des super pouvoirs. Parmi eux, le pouvoir de rassembler mon équipe à l'endroit de mon choix.




Dans l'interface (en anglais), cette fonctionnalité s'appelle Summon. D'après la traduction, ce verbe exprime déjà une certaine forme de violence : c'est rassembler, mais c'est aussi convoquer, mander, appeler de manière impérieuse.




Nous avons ressenti cette polysémie au moment de la préparation des sessions : le franglisme "summoner" est devenu un verbe courant dans nos discussions d'organisation. Par exemple : "Là, je summone tout le monde sur le canevas d'équipe pour expliquer les consignes."




Quand j'ai effectivement "summoné" tout le monde pendant la première session, j'ai ressenti, à distance et sans aucun contact visuel avec les autres participants, une forme de gêne. Je les avais tous bridés dans leur liberté de mouvement virtuel.

La fois suivante, j'ai changé de stratégie : laissant tomber l'option Summon, j'ai plutôt invité tout le monde à me suivre, proposition que chacun pouvait accepter ou non. Cette forme d'autonomisation a contribué, je crois, à détendre l'atmosphère de travail (qui était déjà très conviviale, mais quand même).




L'autonomisation fait partie des grands principes d'éducation à la citoyenneté numérique. Le RÉCIT (RÉseau axé sur le développement des Compétences des élèves par l’Intégration des Technologies) considère parmi ses missions principales celle d'amener :
les futurs citoyennes et citoyens à faire preuve d'autonomie, à agir en étant guidé par une réflexion éthique et à démontrer une vivacité dans leur façon de penser de manière critique.
 
 


Lorsque je cherche des ressources sur la citoyenneté numérique, je trouve d'abord des programmes destinés aux enseignants, aux éducateurs ou aux parents pour l'éveil des enfants et adolescents. Souvent ces programmes contribuent à développer la construction de son identité, l'analyse critique et l'émancipation de l'influence d'autrui.




Pour la citoyenneté numérique version adulte, je trouve plusieurs catégories de réponse sur le web :
Rien sur des comportements exemplaires pour les autres, sur ces petits gestes virtuels qui prouvent qu'on pense au confort de l'autre avant le sien. Ou alors quelques articles isolés ici ou là, qui questionnent nos rituels phatiques ("ça va ?") et nos postures figées face à la webcam.


L'application de visioconférence Zoom. — Wilson Ring via 20 minutes



Lors d'une session du sprint confiné, mon micro a été coupé. Il est en effet possible, sur Google Meet ou n'importe quelle solution de visioconférence, de couper le micro de quelqu'un d'autre, sans autorisation spéciale. Un clic suffit.




Je ne m'en suis pas rendue compte immédiatement. Quand j'ai voulu prendre le relais de l'animation, ma collègue m'a informé qu'on ne m'entendait pas. Je ne parvenais pas à cliquer sur mon micro pour l'activer. Comme j'étais connectée par téléphone, je ne savais pas comment faire pour me rendre la parole. Je ne pouvais qu'écrire dans la messagerie que j'avais un problème.

Après plusieurs minutes de déconnexion / reconnexion, j'ai enfin compris les instructions de la voix artificielle au téléphone : elle m'indiquait d'appuyer sur star six. Au début, je n'entendais que le 6 et j'appuyais éperdument sur le clavier. Il manquait simplement la petite étoile *




Le reste des sessions s'est déroulé sans encombre.

Avec le recul, je me suis demandée si notre trombinoscope n'avait pas été, lui aussi, une forme de violence mineure : nous avions incité chaque participant à se présenter avec une photo, un texte et une représentation de son environnement de travail idéal. Une grille était prête sur l'espace de travail en ligne, il suffisait de choisir une case vierge et de remplir ses informations. Comment avait-on vécu cette injonction de "rentrer dans une case" ?




Heureusement, pas de traces de violences dans le questionnaire de bilan de notre sprint confiné. Au contraire, selon un(e) répondant(e) :
J'ai adoré la bienveillance avec laquelle tout le monde a tenté au mieux de gérer ce travail en confinement, avec les problèmes techniques inhérents.
Le télétravail nous impose une vigilance accrue sur nos modes de communication, qu'ils soient synchrones ou asynchrones. J'avais commencé il y a quelques mois à lister des principes respectueux qui me semblent toujours d'actualité.

Ce sprint confiné m'a apporté de nouveaux éléments, en particulier sur les libertés fondamentales d'un collaborateur en ligne : la liberté de se déplacer (dans un espace virtuel), de gérer soi-même son canal d'expression, de partager ou non des informations sur soi.


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