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J'ai envie d'un numérique qui donne envie

Après des mois à baver devant le Fairphone 2 en rupture de stock, quelle joie de recevoir la troisième version du seul téléphone équitable au monde ! Je suis étonnée par la qualité de sa finition et de son design. Alors le numérique éthique n'a pas vocation à être moche et rebutant ?





Un exemple à suivre


Au classement des entreprises de l'électronique, la marque néerlandaise Fairphone joue hors catégorie.

Fairphone a adopté un modèle d’entreprise qui se distingue radicalement de celui des autres marques, car il repose non pas sur les dividendes reversés à son actionnariat, mais sur son engagement en faveur de valeurs éthiques et d’appareils électroniques produits équitablement.

- extrait de l'article Fairphone, un exemple à suivre

Au démarrage de l'appareil, première surprise (qui n'en est pas vraiment une) : on me demande de renseigner mon compte Google pour rapatrier toutes mes données. Si le hardware est équitable, l'OS de mon téléphone, lui, reste bel et bien tributaire de la première lettre des GAFAM.

[A noter : il est tout de même possible de changer d'OS pour son téléphone. D'ailleurs, pour le Fairphone 2, une version software open source est disponible.]

Plus tard, je m'aperçois que même mon clavier virtuel est un Gboard. Même si le clavier Google est censé traiter mes données en local, je cherche une alternative qui me garantisse la confidentialité du texte que je saisis.

L'offre française est très limitée : je me rabats sur Fleksy qui me promet transparence et respect de la vie privée... à condition de bien cocher la case Do Not Track dans le menu de l'application !




Il faut reconnaître que l'équipe de Fleksy a aussi misé sur la convivialité : les couleurs sont pimpantes, le design chaleureux et les options de personnalisation très nombreuses. Le clavier virtuel vous offre même des badges pour vous féliciter d'utiliser ses options.





Alors si Fairphone et Fleksy parviennent à être - disons le mot - sexy tout en défendant des valeurs équitables, pourquoi n'existe-t-il pas davantage d'offres numériques qui nous donnent envie ?

Sobriété, frugalité, neutralité


Quand on aborde la possible compatibilité du numérique avec l'écologie par exemple, les scénarios alternatifs ressemblent toujours à des synopsis de blockbusters post-apocalyptiques : il faut se battre, sortir de la "marée noire numérique", boycotter ou organiser des mutineries. Parfois même, les enjeux de recyclage côtoient les zombies dans la même phrase.


Photo de Lewis Parsons choisie par Usbek & Rica
pour illustrer un article sur un numérique plus vert

On a l'impression que le numérique pérenne et réutilisable est forcément grunge, il est hideux, fait de glitchs et de bouts de ficelles, avec les moyens du bord - et quand il s'agit d'art, il est souvent exposé dans des grandes salles qui ressemblent à des hangars.




Ainsi on appelle Green IT (ou Eco-TIC) :

L’ensemble des méthodes, logiciels, matériels, services et processus informatiques qui réduisent l’impact de l’informatique sur l’environnement par une démarche éco-responsable.

Les professionnels de l'informatique sont eux-mêmes en formation pour mettre en place des solutions frugales en énergie : par exemple avec la virtualisation, technologie qui permet d'augmenter la capacité de nos machines physiques tout en réduisant la consommation électrique.


Un numérique vert ? (source image)


Il me semble que notre avenir numérique a coulé ses fondations sur le lexique de la négation : c'est réduire, c'est renoncer, c'est se priver de.


C'est Minimal, l’outil qui supprime les éléments addictifs de YouTube ou Facebook. C'est le Demetricator de l'artiste Ben Grosser, qui cache les métriques sur votre compte Twitter ou Facebook. C'est la désinnovation défendue par Alexandre Monnin et Diego Landivar, c'est l'abandon de la 5G, cette technologie que notre planète ne pourrait pas supporter en terme de ressources. Ce sont des régulateurs de vitesse : on ralentit le débit des contenus en ligne comme on contrôle la circulation sur les routes.

Si nous voulons agir à titre individuel, et suivre par exemple le plan d'action de la Fing, notre (in)compétence technique nous rappelle vite à l'ordre. Pour réparer nous-même un appareil défectueux, nous avons besoin des makers (et de connaître le terme #SlowTech).



Plutôt attiré(e) par le côté sauvage des technologies ? La wild tech vous tend les bras... à condition que vous ayez une appétence pour la bidouille.

La réparation, la réanimation d’objets numériques anciens ou les hybridations [...] nécessite[nt] des formes d’apprentissage, d’expérimentations et de tâtonnements qui reposent bien souvent sur l’autodidaxie, la participation à des communautés de pratiques et à un trésor de curiosité pour saisir comment accéder à ces ressources électroniques ultra-récentes ou obsolètes.

- Nicolas Nova dans cet article de Rue89Lyon

A quoi ressemblent concrètement ces communautés de pratiques ? Elles sont parfois visibles en ligne, lorsqu'elles font des trouées sur les réseaux sociaux mainstream pour nous encourager à rejoindre un autre univers dont il faut décoder le nom :


Ce #fediverse désigne les réseaux décentralisés, libres et ouverts ; il reflète une certaine vision de ce que devrait être le web.

L'accueil du site web fediverse.party

Les communautés de pratiques sont aussi accessibles physiquement, notamment à travers le format Install Party :

Une « fête d'installation » est une réunion qui permet à des novices de rencontrer des utilisateurs expérimentés de systèmes ou de logiciels libres qui les aideront afin d'installer un système libre sur leur propre machine [...]

Sur la page Wikipédia, les photos de 2005 et 2007 font envie (sic) :




Même si certains protagonistes essaient de sourire, tout cela a l'air clairement moins fun qu'une Netflix Party.

Et si les Italiens nous donnaient encore des leçons de mode ?


Avant (?) que la Wild Tech ne désigne l'aptitude à pimper des morceaux de hardware pour en faire un objet exotique et disruptif, c'est une tablette de Microsoft qui popularise le terme avec une offre de sneakers assorties à votre Surface Laptop.




Un outrage à la culture de la décroissance technologique ? Pourtant, les motifs de ces sneakers sont produits en alcantara, un cuir artificiel commercialisé par la société italienne éponyme qui célébra en 2019 sa dixième année consécutive de neutralité en bilan carbone.

En fait, c'est peut-être bien du côté du continent africain qu'il faut chercher le salut, mais sans s'attarder sur sa faune "exotique" à taches et à rayures, ni sur les zones de conflits pour l'extraction des minerais.


(source image)


Quand le programme Digital Imaginaries est lancé à Dakar, Johannesburg et Karlsruhe, il s'appuie sur la diversité des cultures africaines pour construire un imaginaire positif et tout à fait indépendant des tendances occidentales. Nous, occidentaux, avons perdu le monopole du futur, selon Oulimata Gueye :

[La] jeunesse [africaine] aujourd’hui – urbaine, bien sûr – s’empare à bras-le-corps de l’usage des technologies numériques et elle en fait un outil de projection dont la science-fiction serait la traduction esthétique.

Ainsi : l'artiste kényane Jacque Njeri, qui broie allègrement les codes de la SF spatiale occidentale pour les saupoudrer sur ses Massaï déterminés et insouciants.




C'est bien cette légèreté qui nous manque quand on parcourt le sommaire de dernier hors-série de Socialter dédié, pourtant, au réveil des imaginaires. Car c'est l'univers tout en nuances de gris de Damasio qui en est le porte-étendard, avec son technococon et son capitalisme cognitif - ceci explique cela.

Cette fraîcheur du numérique sans prise de tête et sans culpabilisation, je l'avais appréciée dans le projet Pigeon voyageur de l'ONF :

Une expérience qui vulgarise et illustre, avec humour et poésie, comment voyagent nos communications numériques.

Hélas, le projet ne semble plus accessible en ligne. Encore un coup des défenseurs des animaux ?




Vous connaissez des projets liés au numérique qui vous font sourire, et même rire (soyons fous), qui vous apportent de la joie et de l'espoir ? Des projets qui ne jouent pas sur votre culpabilité, sur votre sentiment d'épuiser les ressources de la planète et sur votre hyper-consommation de contenus ? Partagez-les en commentaires !

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