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De la nature des choses < ! - - cachées - - >

En mars 2018, un groupe de chercheurs de la Columbia University présentait FontCode : une application visant à cacher un message dans un autre message. On appelle ça la stéganographie, et les nouveaux médias en sont friands.

crédits image : Alyssa Foote dans cet article de Wired

L'art de la dissimulation

Contrairement à la cryptographie (qui consiste à crypter un message rendu inintelligible pour celui qui n'en possède pas la clé), la stéganographie ne laisse même pas présager qu'un message est dissimulé. Si un espion intercepte le support, il doit d'abord s'assurer qu'il s'agit bel et bien d'une transmission d'information.



Encre invisible, micropoint, encodage informatique : les méthodes sont variées et les supports infinis. Le développement des médias numériques a particulièrement favorisé la stéganographie. Puisqu'une donnée informatique est transmise sous forme d'une série de bits interprétée par l'ordinateur, certaines techniques comme LSB (less significant bit) permettent d'exploiter un espace vacant pour véhiculer une image, un texte ou un fichier audio.


L'application FontCode, quant à elle, joue sur une transformation imperceptible à l'oeil nu : celle des glyphes dans une police de caractère. En créant 52 variations pour chacune des lettres, les chercheurs ont développé un système basé sur le machine learning.

 

Une aubaine pour les designers graphiques

Présenté au SIGGRAPH 2018, FontCode trouve naturellement de nombreuses applications dans le domaine de la sécurité informatique (de la signature électronique à l'intégration de métadonnées).

De manière étonnante, Changxi Zheng (l'un des concepteurs de FontCode) évoque dans cet article les perspectives esthétiques de l'application : puisque le message caché est invisible pour l’œil humain, plus besoin d'utiliser des systèmes de cryptage tel que le QR code.

Now we start to put visual content on the surface. And then you have to make a choice: either put visual content that’s supposed to be perceived by human eyes, or you put content, like a QR or barcode, which is meaningless to our eyes but are useful for a computer system. It’s a fundamental competition.
Cette aversion pour le QR code est loin d'être récente. Déjà en 2013, une alternative au carré blanc et noir était offerte par le SnapTag. Destiné principalement aux marques, ce système de cryptage des données est basé sur la position relative de plusieurs points sur la périphérie d'un cercle.


Plus récemment (2015), Snapchat lançait ses Snapcodes ("un code QR pour suivre facilement un autre membre du réseau social"). Cette fonctionnalité a depuis évolué vers la mise à disposition de contenus et de raccourcis URL.


Tout le reste n'est que distraction

Mais c'est encore de la cryptographie puisque le cryptage est visible pour nous autres, utilisateurs. Ce qui intéresse Changxi Zheng, c'est la possibilité d'une dissimulation dans l'image elle-même :

If you think about a beautiful poster, the entire poster is to please the human eyes.
L'agence MNSTR semble avoir pris le concepteur de FontCode au pied de la lettre lorsqu'elle présente son application Punchlines au festival d'animation d'Annecy. Le principe ? Dévoiler avec son Smartphone des scènes de vie cachées dans l'affiche officielle du festival.




L'impact est d'autant plus fort que l'identité visuelle du festival d'animation est partout. En ville, impossible d'emprunter une avenue qui ne soit pas criblée d'affiches. En salle, toutes les séances s'ouvrent par une série d'animations déclinées de l'affiche pour rappeler au public les consignes de sécurité.


C'est réellement jubilatoire d'apprendre qu'un contenu caché se trouve à portée de main ! Seul petit problème : il faut l'expliquer à tout le monde.



C'était bien la force du QR code : devenir un format standard, un dispositif visible et compréhensible par un ensemble de plus en plus large de la population, et peu importe son aspect peu esthétique s'il est efficace.

Contre-mesures


Car le QR code fonctionne comme déclencheur (trigger) - pas seulement pour la machine, mais aussi pour notre cerveau humain éduqué peu à peu à la réalité augmentée. Là où je vois un QR code, je sais qu'un contenu est accessible. C'est le même principe avec les dead drops, ces clés USB cimentées dans la ville.


Un autre dispositif s'est basé sur l'invention d'un format reconnaissable pour éditer des contenus spécifiques : l'open badge.

Utilisé par plusieurs formations supérieures pour valoriser les compétences des étudiants, un open badge est constitué d'une image à laquelle on associe des métadonnées. Un badge est unique : il représente la reconnaissance d'une compétence, émanant d'une autorité, envers une personne.


Sans apprentissage de la nature d'un open badge, on peut le confondre avec une image JPEG toute bête. Il faut télécharger l'image sur une plateforme spécifique pour activer le badge et découvrir ses propriétés.

Le triangle de confiance

Dans ces exemples de cryptographie ou de stéganographie, on retrouve le schéma classique d'une communication à sens unique entre un émetteur (qui crée le message et le dissimule) et un récepteur (qui identifie le support du message et le décode à l'aide de l'outil associé, qu'il s'agisse d'une application mobile ou d'une plateforme web).

La perspective d'un échange réciproque n'est pas évident. Bien sûr, dans le cas des codes (QR, SnapTag ou Snapcodes), il est possible de créer et diffuser son propre contenu. Cependant, la personne qui réceptionne le message n'y répondra pas de la même manière, ce n'est pas une discussion.



Une autre raison s'oppose à la circulation des open badges en double sens : celle de l'autorité. En effet, l'open badge par définition est délivré par une instance légitime (l'octroyeur), reconnue par l'individu qui reçoit le badge (le récipiendaire) ainsi que par les structures équivalentes (l'appréciateur).

Ce triangle de confiance justifie la valeur du badge. Même si l'on apprend à créer et attribuer un badge, celui-ci n'aura d'impact qu'à condition de s'inscrire dans un système de références partagées.

C'est le cas, par exemple, dans l'univers des fablabs, où la maîtrise des machines à commande numérique est une compétence transférable d'un lieu à un autre. Depuis cette année, la Casemate à Grenoble développe des open badges pour valoriser sa communauté de makers.


Le principe hologrammique

Un dernier exemple me semble intéressant dans le domaine de la stéganographie en nouveaux médias : c'est l'usage de la réalité augmentée avec un casque comme Microsoft HoloLens.

Ici, le déclencheur n'est plus nécessairement une image ou un texte. C'est l'espace lui-même qui est perçu et calculé par HoloLens.



Alors que des applications comme Space Catcher permettent de scanner en 3D la pièce environnante, la fonctionnalité basique du casque HoloLens est liée aux hologrammes. Un objet virtuel peut ainsi être associé à un ancrage spatial réel qui permet de le retrouver au même endroit dans une prochaine session de réalité augmentée.


A hologram is whatever you dream up
Au-delà des bénéfices directs de la réalité augmentée pour le commerce ou l'immobilier, c'est l'intégralité de la surface planétaire qui devient un nouvel espace vide, une marchandise - exploitable et commercialisable.

Et si, comme le pensait Lucrèce, la nature des choses est un sujet obscur, alors la réalité augmentée pourrait choisir d'être une forme poétique davantage qu'un outil marketing, au final une stratégie pour rendre le monde intelligible. 


crédits open badges et réalité augmentée avec HoloLens : Nicolas Frespech

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