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L'héritage invisible de l'art numérique

Du 2 au 4 novembre, le KIKK festival à Namur (Belgique) a exploré les narrations invisibles (invisible narratives) dans l'art, le design et la technologie - les cultures numériques et créatives au sens large. L'occasion de rappeler que l'art numérique n'est pas hors sol : il s'enracine dans un héritage culturel partagé. Retour sur quelques moments forts du festival.




Avant toute chose

C'est un gorille géant (et rose) qui nous accueille au KIKK festival, un King Kong gonflé à bloc et au nom du magazine éponyme lancé par l'équipe d'organisation.



J'en profite pour féliciter les programmateurs, Marie du Chastel et Gilles Bazelaire, pour l'excellence des conférences et l'organisation hors normes de ce beau festival !


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Chaque lieu du festival nous semble familier. D'abord tout se passe dans un mouchoir de poche, à Namur centre-ville, et c'est agréable de passer d'un lieu à l'autre en moins de 3 minutes.

L'impression de familiarité vient peut-être aussi de cette petite musique qu'on reconnaît à peine, cette Lettre à Elise remixée par le vent qui souffle depuis le beffroi de la ville. Son concepteur, Niklas Roy, est partageur : il nous explique comment fabriquer son propre moulin à vent musical à la maison.




Partageurs


De manière générale, on échange tout au KIKK festival : les conférenciers donnent leurs sources, les équipes audiovisuelles retransmettent en live... On laisse même ses chaussures en pension sur la place du Théâtre pour aller faire un tour dans la vie d'un autre, avec l'installation A Mile In My Shoes.



Lynn Cherny nous lit un poème de Mary Doria Russel (Fourteen) entre deux jeux de données, David Benqué expose un travail en cours, Claudio Guglieri nous recommande un livre... On se sent bien et avec des personnes de confiance.



L'esprit de l'open-source est palpable : ainsi les références conduisent souvent à un code GitHub ou bien, encore plus intéressant, à la transmission de toute une procédure technique. Par exemple avec Dat Tran, cité par Lynn Cherny, sur les détecteurs d'objets (ou de ratons laveurs) dans la reconnaissance d'image. Ou encore la contribution de Waltz Binaire pour allier motion et danse sur la plateforme vvvv, un environnement de programmation prisé pour le spectacle vivant et les performances live.

Les conférenciers provoquent la discussion, sont disponibles, restent modestes et ouverts à des évolutions dans leur travail.

Le pavé dans la mare

Au matin du jour 2, c'est Régine Debatty qui lance l'offensive : modifiant à la dernière minute le sujet de son intervention, elle tacle notre héritage colonialiste, notre dépendance aux minerais extraits sans considération, la tendance raciste de nos algorithmes, la valeur du sol pour nos activités numériques - coupant l'herbe sous le pied à Ingrid Burrington qui interviendra deux heures plus tard sur un sujet similaire.



Régine Debatty cite une multitude de références historiques, politiques ou artistiques (souvent les trois à la fois), comme le collectif Suohpanterror dans le Nord de l'Europe, qui détourne des icônes culturelles pour revendiquer les droits du peuple Saami.

Elle enchaîne ses supports de présentation sans relâche, sa conférence prend un rythme fou. Au détour de son argumentaire, elle cite l'artiste allemande Hito Steyerl comme figure majeure de l'art contemporain. Coïncidence ? Le lendemain Hito Steyerl prend la tête du classement Power 100 qui liste les personnalités influentes dans le monde de l'art.


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Je salue cette intervention de Régine Debatty, presque une performance en somme, qui a ancré le festival dans une réalité incontestable.

Reconnaissance

Parmi les conférences auxquelles j'ai pu assister (une dizaine en deux jours), j'ai beaucoup apprécié l'approche de deux artistes : Waltz Binaire et Katherine Melançon.

Waltz Binaire est intervenu, à deux voix, sur la déconstruction de son travail au fil du temps : comment reproduire numériquement le mouvement humain.





Un passage très touchant de cette conférence a été l'hommage rendu à Pina Bausch dans la perspective d'un absolu en art. Selon cette idée, certaines œuvres traitent d'un sujet avec une pertinence et une puissance si extrêmes, indéniables, qu'il n'est plus utile d'aborder à nouveau ce sujet. En quelque sorte, Pina Bausch a remporté cette partie - ne reste plus qu'à lancer la partie suivante. Ce faisant, l'expression artistique progresse.

La question de l'intelligence artificielle est abordée dans cette conférence comme une éventuelle aide au progrès : lire à ce sujet cet article d'Ahmed Elgammal.

Katherine Melançon, de son côté, a été incroyable d'humilité et d'inspiration avec son travail sur la nature morte.



Durant son intervention, elle relie la tradition de la nature morte (très codifiée) à sa découverte des outils numériques comme le scanner 3D. C'est en connaissance de cause qu'elle reproduit, détourne, amplifie. Et lorsqu'un savoir lui manque (comme le nom de plantes qu'elle scanne, par exemple), elle entame un nouveau projet en puisant dans son patrimoine culturel avec un livre de référence au Québec : La Flore Laurentienne de Frère Marie-Victorin.




Tout en contraste

Alors que d'autres font leur show et nous font passer un bon moment, je garderai en tête la Surprise Talk de Bruce Sterling.



Cette intervention surprenante, décevante au premier abord, fera ensuite planer son ombre sur l'intégralité du festival. En effet, l'auteur de SF nous livre une analyse sensible des rapports de force entre popularité, pouvoir et richesse en art. Il place l'art numérique (Tech Art) dans la sphère du pouvoir et nous rappelle à nos responsabilités.



Son intervention laissera un petit goût acide en bouche, tout comme les installations remarquables de l'ECAL sur la surveillance.



Reconnaissance 2

Pour conclure, à mon tour de remercier les équipes qui m'ont permise d'être présente à ce KIKK festival. Je faisais partie de la mission portée par l'OFQJ France qui accompagne des entrepreneurs à l'international.



Je m'intéresse particulièrement aux liens entre art et numérique pour le développement du labo NRV (Numérique Réalités Virtualités) aux Subsistances à Lyon (et avec l'ENSBA), un artlab dont j'aurais l'occasion de vous parler plus en détail très bientôt.

Encore merci à toutes les équipes du KIKK festival !



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