Peut-on exposer la parole des minorités dans un documentaire classique ? Non, il faut chercher plus loin, semblent répondre à la fois Seacoal et Fort McMoney, à 30 ans d'intervalle.
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Seacoal, Amber Films, 1985 |
Intertextes
Qu'on le veuille ou non, l'événement 2013-2014 du webdocumentaire s'appelle Fort McMoney. L’œuvre de David Dufresne déchaîne les critiques et interroge les fondamentaux de l'interactivité, de l'engagement et de notre rapport à la réalité.
En 1985, le collectif Amber réalise Seacoal, un documentaire expérimental, puisqu'il s'agit de fictionnaliser le quotidien d'une communauté du Nord-Est de l'Angleterre, qu'on appelle les charbonniers de la mer.
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Fort McMoney, David Dufresne, 2013 |
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Seacoal, Amber Films, 1985 |
Ces deux projets ont en commun la recherche d'une forme hybride, supposé meilleur réceptacle de la parole des minorités, qu'un format documentaire classique.
Le premier, Seacoal, va miser sur la fiction (très) documentée. Le second, Fort McMoney, va parier sur le jeu documentaire et les principes de gamification.
Mais ces deux œuvres ont bien plus en commun que leur quête formelle.
De la misère des chercheurs d'or
Seacoal parle des charbonniers de la mer, ces hommes et ces femmes qui, plus alléchés par les promesses de revente du charbon que par la beauté du paysage marin (quoique), consacrent leurs jours et leurs nuits à la récolte des bienfaits rejetés par les marées.Fort McMoney rôde du côté des marginaux : ceux qui se sont installés au camping pour ne plus en repartir, ceux qui collectent et revendent les canettes pour tout salaire quotidien, ceux à qui on avait promis une vie dure - quelques temps - pour un avenir meilleur et qui déjouent trop tard le piège bitumineux qui s'est refermé sur eux.
Des deux côtés, ces gens œuvrent au contact de matières sombres, salissantes, qui font leur espoir et leur désespoir, qu'il s'agisse de charbon ou de dérivés pétroliers. Des (re)sources d'énergie qui alimentent une société dont ils ne font plus vraiment partie.
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Seacoal, Amber Films, 1985 |
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Fort McMoney, David Dufresne, 2013 |
Ce temps de gestation est d'entrée de jeu un manque à combler pour le spectateur qui, confronté à cette réalité dure sans effort de sa part, peut avoir du mal à percevoir le caractère exceptionnel du témoignage. Et donc à recevoir pleinement le message qui lui est délivré.
Récit de personnes VS discours des personnages
Rapidement, le collectif Amber comprend que les charbonniers de la mer ne se laisseront pas filmer. Les réalisateurs décident alors de recruter des acteurs professionnels qui tiendront les rôles principaux. Ceux-ci permettent de bâtir une ossature narrative, sur laquelle viennent se greffer des morceaux de vie arrachés sur le vif, sur la plage.![]() |
Seacoal, Amber Films, 1985 |
La discussion : c'est l'approche privilégiée par les auteurs des deux projets. Or, les échanges sont faussés. Dans Seacoal, les lignes sont écrites et récitées par les acteurs. Dans Fort McMoney, le parcours est scénarisé (les épisodes sont mis en ligne successivement) et les questions pré-écrites.
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Fort McMoney, David Dufresne, 2013 |
Les minorités au service de...
Au-delà de la parole de ces communautés de travailleurs, les deux projets profitent de l'occasion pour aborder des questions politiques : l’État doit-il prendre des mesures plus fermes vis-à-vis des grands groupes pétroliers ? La grève des mineurs était-elle justifiée face au gouvernement de Thatcher ?Libre au public de répondre à ces questions, et si possible sur la place publique, c'est-à-dire Internet. David Dufresne invite les internautes à débattre en ligne, tout en gardant la main sur les thèmes abordés.
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Fort McMoney, David Dufresne, 2013 |
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